Anne Feitz
Mandatée par le gouvernement pour définir une stratégie nationale pour le véhicule autonome, Anne-Marie Idrac doit présenter ses conclusions ce lundi. Une trentaine de chantiers seront lancés rapidement et les expérimentations simplifiées dès 2019.
Des voitures autonomes dès 2020 sur les routes françaises. C’est l’objectif avancé par Anne-Marie Idrac, qui doit présenter ce lundi les conclusions de sa mission sur le véhicule autonome, en présence des ministres Bruno Le Maire, Elisabeth Borne et Mounir Mahjoubi. Un domaine explicitement pointé par Emmanuel Macron comme prioritaire pour l’Hexagone. « La France doit être à la pointe de l’expérimentation et de l’industrialisation »,
insistait le chef de l’Etat en mars dernier.
Nommée en novembre dernier « haute responsable pour la stratégie nationale de développement des véhicules autonomes », l’ancienne ministre a élaboré un document d’une centaine de pages, listant l’ensemble des actions publiques à entreprendre pour rendre l’objectif possible. « C’est une vision commune de l’ensemble des acteurs français sur la stratégie que doivent adopter les pouvoirs publics », dit-elle, dans un entretien exclusif aux « Echos ».
Mesures incluses dans la loi sur les mobilités
Il y a urgence, car 2020, c’est demain : il s’agit à la fois de faire évoluer le cadre législatif et réglementaire, d’établir le cadre des expérimentations et d’intégrer à la réflexion toute une série de sujets, comme le traitement des données, la cybersécurité, la connexion avec les infrastructures, la cartographie, etc. Le tout en coordination avec les instances internationales, notamment l’ONU et l’Europe.
Très attendu, le document comporte un ensemble de propositions à mettre en oeuvre dans des délais relativement courts : certaines mesures seront incluses dans la loi d’orientation des mobilités (LOM),
qui doit être présentée en Conseil des ministres d’ici à l’été
. Il s’agit de permettre, « d’ici à 2020-2022 », la circulation de véhicules individuels autonomes de niveau 3 (le conducteur peut déléguer la conduite, mais doit être capable de reprendre le contrôle à tout moment) et de niveau 4 (le véhicule peut être totalement autonome, mais seulement sur certaines portions de route), sur une échelle qui en compte 5 : une échéance correspondant aux
ambitions commerciales des constructeurs comme PSA ou Renault
. A la même date, des navettes autonomes devront aussi pouvoir circuler, ainsi que des véhicules de transport de marchandises.
Pour cela, le Code de la route et le permis de conduire devront être adaptés : des groupes de travail seront mis en place, qui devront rendre leurs conclusions avant la fin de l’année. L’obligation d’informer tout acheteur d’un véhicule neuf sur les fonctions de conduite autonome sera inscrite dans la LOM.
Autre vaste champ à défricher, la question de la responsabilité : si le document conclut que le régime de responsabilité civile du conducteur, tel qu’il existe aujourd’hui dans la loi (via l’obligation d’être assuré), est suffisant pour couvrir la conduite autonome, ce n’est pas tout à fait le cas de la responsabilité pénale : relève-t-elle du conducteur, du fournisseur du logiciel, du constructeur ? Les mêmes groupes de travail devront examiner la question, et proposer des adaptations à la loi, si besoin.
Expérimentations simplifiées
Avec une exception pour
les expérimentations
, qui seront traitées par la LOM : le rapport propose que la responsabilité soit assumée par le titulaire de l’autorisation, via son engagement à assurer la sécurité de l’expérimentation. De quoi simplifier le cadre actuel des expérimentations et satisfaire les acteurs du secteur. Emmanuel Macron avait de son côté indiqué en mars que le cadre législatif serait adapté dès 2019 pour autoriser les expérimentations sans conducteur attentif, une disposition qui sera, elle, incluse dans la loi Pacte (plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises).
Enfin, la LOM devrait aussi cadrer les conditions d’accès aux données produites par les véhicules, que ce soit pour des missions de service public (sécurité routière, gestion de trafic), des enquêtes sur des accidents, ou pour une utilisation commerciale.
Plus généralement, le rapport préconise la réalisation de plusieurs études d’ici à la fin de l’année (cybersécurité, équipement de certaines infrastructures, impact économique sur la filière), la mise en place d’un cadre pour le financement public (200 millions d’euros ont déjà été financés dans le cadre de différents appels à projets, rappelle-t-il), ou encore la mise en commun de certaines « briques » issues des expérimentations. Au total, une trentaine de chantiers à mettre en oeuvre sans tarder.
Anne-Marie Idrac : Anne-Marie Idrac : « L’acceptabilité du véhicule autonome est fondamentale »
Propos recueillis par A.F.
Le nombre de chantiers que vous préconisez est impressionnant : des véhicules autonomes pourront vraiment circuler en France dans deux ans ?
Le calendrier est effectivement ambitieux, il correspond à la réalité de l’innovation. Les ministères et les administrations concernés, de même que des acteurs comme l’IGN ou l’institut Vedecom, vont se doter de feuilles de route volontaires pour que l’objectif soit atteint. Il faut aussi travailler avec Bruxelles et l’ONU. Hasard du calendrier, la Commission européenne doit d’ailleurs présenter sa propre stratégie sur le sujet le 16 mai. On va se donner les moyens, il y a une forte mobilisation de tous les acteurs.
La France n’est-elle pas déjà en retard ?
Je ne le pense pas. Il y a un fort engagement des constructeurs automobiles, des fournisseurs d’équipements ou de service de l’Hexagone, dans l’innovation et les expérimentations. Franchement, ils n’ont pas à rougir de leur avancement dans ce domaine. Concernant la réglementation, nous avons certes une approche progressive, basée sur la sécurité, différente de celles de la Chine ou des Etats-Unis. Mais les constructeurs sont bien conscients que sans sécurité, il n’y aura pas de marché. L’acceptabilité du véhicule autonome est fondamentale. Il faut se développer au juste rythme, et notre approche nous semble extrêmement robuste. L’idée est de commencer par ce qui est utile et nécessaire maintenant pour accompagner les entreprises, sans vouloir tout faire.
Quel financement public le secteur peut-il attendre ?
Cette question est traitée par le biais du PIA (programme d’investissements d’avenir), via la méthode de l’appel à projets. Un appel à manifestations d’intérêt, opéré par l’Ademe, a déjà été lancé il y a quelques semaines, qui a donné lieu à des précandidatures intéressantes. Il sera suivi très rapidement d’un appel à projets, doté de plusieurs dizaines de millions d’euros de fonds publics. Nous souhaitons que les résultats de certaines expérimentations puissent être partagés, de sorte à construire, sur les questions les plus compétitives, une sorte de « bien commun ».
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