FRANK NIEDERCORN
MALGRÉ DES PROGRÈS SPECTACULAIRES ET L’OPTIMISME DES
CONSTRUCTEURS, LA VOITURE SANS CHAUFFEUR N’EST PAS POUR DEMAIN.
LA FAUTE À LA TECHNOLOGIE, À LA RÉGLEMENTATION ET AUX
CONDUCTEURS.
C’est, avec sa cousine la voiture électrique, l’une des stars du Mondial de l’automobile : la voiture
autonome concentre l’attention des constructeurs, soucieux de ne pas se laisser damer le pion par
Google. Plusieurs d’entre eux ont annoncé leurs premiers modèles entièrement autonomes pour
2021 ­ autant dire demain ­, et le cabinet McKinsey prévoit même qu’elles représenteront 15 % des
ventes en 2030 avec à la clef une réduction drastique des accidents ­ à cette date, selon le BCG,
90 % des accidents en ville seraient évités. Certes, les progrès ont déjà été considérables : les
prototypes qui s’affrontaient dans le désert il y a dix ans à l’occasion de concours organisés par la
Darpa américaine arrivent aujourd’hui dans les rues. En Californie, les Google Car ont commencé
à sillonner les routes en 2009. A Lyon, un minibus automatique, le Navya Arma, transporte ses
passagers sur un parcours de 1,7 kilomètre. A Pittsburgh, Uber a lancé fin août une
expérimentation avec des Ford Fusion, qui seront bientôt rejointes par une centaine de Volvo
XC90,
Pourtant, depuis l’été, l’enthousiasme retombe, et certains spécialistes ne cachent pas leurs
doutes sur un avènement aussi rapide que l’affirment certains constructeurs. « La voiture autonome
dans certaines conditions existe déjà. Celle capable d’aller partout et en toutes circonstances
mettra très longtemps à arriver », résume Arnaud de la Fortelle, directeur du centre de robotique
de Mines ParisTech. Tour d’horizon des principaux obstacles.
Pour être autonome, la voiture doit d’abord savoir se repérer. Ce que font les Google Car grâce à
un lidar (laser de télédétection) posé sur le toit, qui scrute en permanence leur environnement
dans toutes les directions. L’ordinateur de bord compare en temps réel ce paysage numérique
avec la cartographie 3D embarquée et en déduit sa position. Mais cette solution semble
impensable pour les futures voitures du commerce. « Le lidar de Google est trop onéreux, et l’on
cherche des alternatives. Quant aux cartes, TomTom et Here promettent de les fournir assez rapidement »,
explique Jean­Marc Blosseville, chercheur émérite à l’Ifsttar (Institut français des
sciences et technologies des transports, de l’aménagement et des réseaux).
La détection des obstacles s’avère encore plus délicate. La portée actuelle des capteurs permet
d’évoluer à faible vitesse, mais sont insuffisants au­delà de 100 mètres ­ un gros problème à
grande vitesse. « Ils ont notamment beaucoup de mal à distinguer la borne plantée sur le bas­côté
de l’obstacle tombé sur la route », précise Jean­Marc Blosseville. L’accident mortel subi cet été par
une Tesla, entrée en collision avec un camion, l’illustre de façon tragique. Le système Autopilot n’a
pas vu le poids lourd qui, venant en sens inverse, lui coupait la route pour tourner. Il semble que le
rayon du lidar soit passé en dessous du camion, très haut sur ses roues. Quant aux capteurs
radar, trompés par un ciel très clair et une énorme remorque métallisée, ils n’ont rien vu non
plus. « Malheureusement, cet accident ne m’a pas surpris et pose le problème de la robustesse de
ces logiciels. Ils sont conçus pour un nombre de cas limités, mais échouent devant les exceptions.
Or, dans un environnement ouvert, on ne peut pas tout prévoir. A bord de la Tesla, les algorithmes
de prise de décision ont peut­être décelé quelque chose d’anormal, mais déduit qu’il s’agissait
d’une fausse alarme », explique Denis Gingras, professeur à l’université de Sherbrooke au
Québec.
Récemment, les chercheurs de Rand Corporation ont fait remarquer qu’il faudrait que ces
véhicules automatiques soient testés non pas sur des millions de kilomètres, mais des centaines
de millions, voire des milliards, pour pouvoir comparer leur efficacité à la conduite humaine. Une
piste pourrait être l’intelligence artificielle, qui suscite depuis peu l’intérêt des constructeurs, note
Denis Gingras : « Toyota, Honda, General Motors ont tous annoncé des investissements
considérables. Ils s’étaient jusqu’à présent surtout intéressés aux capteurs, alors que la conduite
requiert des capacités cognitives et de motricité de haut niveau, exigeant en outre un
apprentissage. On ne donne pas le permis de conduire à un enfant ! »
Laisser la route aux voitures autonomes exigera des évolutions dans plusieurs domaines. D’abord
celui de la réglementation. Aux Etats­Unis, où chaque Etat légiférait de son côté, le gouvernement
fédéral et l’agence chargée de la gestion des autoroutes viennent de prendre les choses en
main. « L’Europe va plus lentement. Elle a déjà du mal à imposer le système eCall d’appel
d’urgence automatisé », remarque Jean­Marc Blosseville. Le monde de l’assurance devra lui aussi
« L’Europe va plus lentement. Elle a déjà du mal à imposer le système eCall d’appel
d’urgence automatisé »
4/10/2016
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s’adapter. Certains acteurs commencent à proposer des contrats spécifiques et des primes en
baisse aux automobilistes possédant des systèmes d’aide à la conduite. Demain, ils devront sans
doute changer leur modèle économique. Car, en cas de sinistre, qui sera responsable ? Le
propriétaire du véhicule, le constructeur, le concepteur du logiciel, voire le fournisseur du système
de communication s’il s’agit d’une voiture connectée ? D’autant qu’avec la montée du modèle de
l’autopartage il est possible que de nombreux utilisateurs ne soient plus propriétaires du véhicule…
C’est donc l’ensemble de l’écosystème bâti pendant des décennies autour de l’automobile qui sera
à repenser. « Aujourd’hui, on n’a pas d’idées précises sur la façon d’y arriver. Nous avons
235 millions de voitures et camions conventionnels aux Etats­Unis, dont certains vont avoir une
durée de vie de vingt ans : expliquez­nous comment on va faire la transition ? » demande JeanLouis
Gassé, ancien dirigeant d’Apple et coauteur du blog technologique Monday Note.
« Aujourd’hui, on n’a pas d’idées précises sur la façon d’y arriver. Nous avons
235 millions de voitures et camions conventionnels aux Etats­Unis, dont certains vont avoir une
durée de vie de vingt ans : expliquez­nous comment on va faire la transition ? »
Le facteur humain reste à prendre en compte
Et si le principal obstacle à la voiture autonome était tout bonnement l’être humain ? Pas simple de
lui trouver une place derrière un volant et des pédales qu’il utilisera moins, voire pas du tout.
« L’un des problèmes auquel on va se voir confronté, c’est la perte de compétence des conducteurs sur
des tâches qu’ils effectueront moins souvent », note Hélène Tattegrain, qui dirige le laboratoire
ergonomie et sciences cognitives pour les transports de l’Ifsttar. L’enjeu est d’autant plus essentiel
qu’on compte encore beaucoup sur lui, puisque même les plus optimistes ne voient la voiture
autonome arriver que progressivement ­ d’abord l’assistance à la conduite, puis une automatisation
partielle pour certaines fonctions.
Ensuite (lire ci­contre), le conducteur pourra céder le contrôle complet du véhicule, mais sous
réserve qu’i puisse répondre de façon adéquate à une requête d’intervention. C’est là tout le
problème : sera­t­il en état de le faire assez rapidement ? Lors de l’accident de la Tesla, il est
possible que le conducteur ait été en train de regarder une vidéo, et on a déjà vu des propriétaires
se filmer à l’arrière de leur véhicule. Dès lors, les constructeurs orientent leurs développements sur
la surveillance du conducteur, grâce à une caméra orientée sur son visage comme chez
Valeo. « L’analyse de la posture ne suffit pas, il faut s’intéresser à la stratégie visuelle du
conducteur » insiste Hélène Tattegrain. La voiture est ainsi susceptible de s’arrêter en sécurité si
elle estime que son passager ne reprend pas la main assez rapidement.
Mais cette approche ne fait pas l’unanimité, notamment pour Denis Gingras :« A la fois pour des
raisons marketing et psychologiques, je ne crois pas à ce scénario dans lequel le conducteur se
laisse conduire tout en devant rester disponible. Aujourd’hui, toutes ces fonctions supplémentaires
arrivent d’abord pour séduire les acheteurs. Mais si la maturité n’est pas au rendez­vous, on risque
de mauvaises surprises et un rejet des utilisateurs. Alors que la technologie a un potentiel
extraordinaire pour apporter davantage de sécurité. Il faut lui donner du temps. »
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