Le Royaume-Uni vient de devenir le premier Etat, hors du monde musulman, à émettre des obligations souveraines conformes aux principes islamiques (« sukuk »). En quête de 200 millions de livres (250 millions d’euros), le Trésor britannique n’a pas eu de peine à lever cette somme, la demande des investisseurs atteignant onze fois cette offre. Après la création d’un indice islamique à la Bourse de Londres, à la fin de l’année dernière, voilà une nouvelle étape décisive pour le Premier ministre britannique, David Cameron, qui ne cache pas son ambition de faire de Londres une des « grandes capitales mondiales de la finance islamique ».
L’intérêt des Britanniques pour ce secteur n’est pas surprenant au regard de la croissance à deux chiffres qu’il affiche depuis plus d’une décennie. Les actifs islamiques représentent aujourd’hui plus de 1.300 milliards de dollars. Son rythme de croissance, deux fois supérieur à celui de la finance conventionnelle, n’est, en outre, pas menacé à court et moyen termes au vu de la réserve d’épargne potentielle des pays musulmans.
Le choix du gouvernement britannique conservateur est pourtant courageux, tant la finance islamique génère de polémiques. Bras armé du terrorisme international ou bien symbole du réveil d’un monde musulman conquérant et dominateur, cette industrie est une machine à fantasmes. En pratique, elle entend proposer des produits financiers respectant les règles de la charia. L’interdiction de la riba, c’est-à-dire de l’intérêt ou de l’usure, en constitue la pierre angulaire. Elle encourage les prises de risques partagées dans les contrats financiers, ainsi que le partage des pertes et des profits. Les transactions doivent nécessairement être adossées à des actifs tangibles, garanties d’une prospérité réelle. La spéculation sur les produits « haram », tels que les armes, l’alcool, l’industrie du jeu et de la pornographie, est prohibée.
Proposer des obligations respectant ces principes religieux permettrait d’attirer l’excès de liquidité des pays musulmans, au premier rang desquels, les pays du Golfe. Voilà pour la France une opportunité économique précieuse pour stimuler l’investissement et diversifier nos sources de financement, d’autant que les obligations islamiques tendent à favoriser l’économie réelle et non spéculative.
Le président Sarkozy avait fait figure de pionnier en préparant le terrain fiscal pour la mise en circulation de produits compatibles avec la charia. Il faut aller plus loin, notamment en émettant des obligations souveraines islamiques, qui pourraient sensibiliser nos entreprises à cette source de financement. En Asie du Sud-Est et dans le golfe Persique, les « sukuk » sont déjà des instruments courants de financement au service de nombreuses PME industrielles.
Les gouvernements Ayrault puis Valls sont, pour l’heure, restés immobiles sur ce dossier. On voudrait croire que leur prudence cache une réticence à l’égard d’une industrie en apparente contradiction avec notre tradition républicaine. Mais les gouvernements qui se sont succédé ces dernières années ont d’ores et déjà rompu avec cette tradition, comme en témoigne notamment l’abandon de toute politique d’assimilation. La frilosité du gouvernement français ne semble donc avoir d’autres raisons qu’un manque de vision stratégique. Le président Hollande gagnerait à s’inspirer rapidement de David Cameron. L’histoire ne repasse pas les plats. Mais peut-être est-ce trop demander à celui qui semble avoir fait sienne la pensée de Paul Valéry : « Que de choses faut-il ignorer pour agir ! »