Tout juste adopté par les ministres des Finances de l’Union européenne, le projet de taxe Tobin soulève déjà des inquiétudes. Onze pays – France, Allemagne, Italie, Espagne, Portugal, Autriche, Belgique, Slovaquie, Grèce, Estonie, Slovénie – se sont engagés à appliquer cette taxe. L’accord s’appuie sur les propositions formulées par la Commission européenne il y a un an et demi, qui prévoit de prélever un impôt de 0,1 % sur les échanges d’actions et d’obligations et de 0,01 % sur les produits dérivés.

Bruxelles doit affiner ses propositions d’ici au mois de mars et les onze signataires devront approuver à l’unanimité les modalités de la taxe, qui devrait entrer en vigueur au plus tôt en 2014. Les recettes procurées par cette taxe dépendront du périmètre et du taux de prélèvement choisis. Actuellement, l’Union européenne table sur plus de 10 milliards.

Les professionnels de marché s’alarment des effets d’une telle taxe sur les marchés, notamment sur les différents segments de l’univers obligataire.

La France, qui a déjà lancé sa taxe en août dernier, avait pris soin d’écarter les obligations publiques et privées du champ d’application. En pleine crise de la dette de la zone euro, alors que la dette française elle-même a subi des attaques, il était dangereux de donner des raisons supplémentaires de fuir les emprunts d’Etat. Par ailleurs, à l’heure où la distribution de crédit bancaire se raréfie, pénaliser les achats d’obligations d’entreprise, qui ont de plus en plus recours aux marchés, aurait été malvenu. Autant d’arguments qui risquent de refaire surface dans les débats sur le contour de la taxe européenne.

Mais c’est surtout l’impôt sur les titres de court terme qui est dénoncé. « Qui achètera encore des bons du Trésor français, sachant qu’ils offrent un rendement maximum de 0,1 % aujourd’hui [pour ceux à 1 an]  ? » s’interroge un opérateur de marché. Avec un prélèvement fiscal de 0,1 %, ce type de papiers perdrait tout attrait, à moins que les taux de marché ne remontent.

Ce serait notamment un nouveau coup dur pour le marché monétaire, sur lequel s’échangent des titres de court terme dont les rendements sont parfois proches de 0, voire négatifs actuellement. La France, leader européen pour les fonds monétaires, serait en première ligne. « Les OPCVM monétaires basés au Luxembourge et en Irlande ne seront pas concernés par la taxe ; ce serait un énorme handicap pour le marché des OPCVM monétaires français », réagit Eric Pagniez, à l’Association française de gestion financière. Un marché de taille : leurs actifs s’élèvent à 374 milliards d’euros, soit un quart du total des OPCVM français. « Imaginons qu’un OCPVM monétaire soit confronté à des demandes de rachat des clients, il serait contraint de vendre ses titres en payant cette taxe, ce qui pourrait être catastrophique. »

Enfin, se pose la question du traitement appliqué au marché de la pension livrée (repo), poumon du refinancement bancaire. Ce marché permet aux banques de se prêter des liquidités, en échange de titres qui sont souvent des obligations. En outre, la détention des titres est de courte durée. Prélever un impôt sur ces échanges pourrait donc coûter très cher aux intervenants. « Il ne s’agit toutefois que d’une cession temporaire de propriété, il n’y a pas d’achat-vente d’obligations », tempère un opérateur.

Isabelle Couet et G. M.