C’est la chute d’Icare. L’éviction de Jean Azéma de la tête de Groupama a été radicale. Et les transformations qu’il a impulsées depuis 11 ans ne l’ont pas été moins. Mais le conseil d’administration en a décidé autrement. À 58 ans et après 36 ans de bons et loyaux services, Jean Azéma a dû tirer sa révérence.

Son départ précipité intervient après l’échec de sa campagne d’Italie où il a dû renoncer à entrer au capital de l’assureur Fondiaria SAI, après ses coûteuses acquisitions à l’étranger, la chute de ses placements ou encore sa persévérance à vouloir introduire la société en Bourse.

Mais Jean Azéma paie sans doute sa témérité et son avant-gardisme dans un monde mutualiste parfois poussiéreux. À la fois gestionnaire et visionnaire, cet ancien pilier de rugby n’aura eu de cesse de moderniser et de transformer son groupe en profondeur. Ingénieur agronome de formation, il avait franchi toutes les strates du groupe et en connaissait parfaitement les ressorts, pour s’être essayé à la direction financière de l’activité vie, à la direction des investissements, ou encore à l’ambiance des caisses régionales dans le Sud et le Sud-Ouest. Jean Azéma a aussi été l’artisan de la nouvelle gouvernance mise en place en 2004 avec une Fédération nationale regroupant les caisses régionales, et une société anonyme détenue par les caisses régionales, qui chapeaute les entités France, international et gestion d’actifs.

Après la dégradation de l’assureur par les agences S&P et Fitch fin septembre, qui ont pointé du doigt la baisse de valorisation de ses placements financiers et l’érosion de sa marge de solvabilité, Jean Azéma a annoncé un plan d’économies de 300?millions d’euros d’ici 2013. Certains lui reprochent d’avoir laissé les fonctions centrales et les frais généraux se dilater, il a pourtant été à l’origine de plusieurs réorganisations internes pour rationaliser les coûts et augmenter l’efficacité opérationnelle. Parmi elles, la poursuite de la mise en oeuvre de la fusion de Groupama et de Gan Assurances actée en 1998, le regroupement de cinq entités d’assurance vie au sein de Groupama-Gan Vie en 2010, le rassemblement des entités dédiées à l’assurance voyage et à l’assistance la même année, ou encore l’absorption de Banque Finama par Groupama Banque en 2009. Sans compter le chantier de la fusion des caisses régionales, qui sont passées de 18 à 9 depuis son arrivée. Une fusion qui s’est d’ailleurs effectuée dans la douleur et les contestations (lire « La Tribune » du 17 octobre), et que les patrons des caisses régionales n’auront pas manqué de lui faire payer lundi.

Diversification

Jean Azéma a de plus été l’instigateur de la diversification du groupe dans de nouvelles activités, au premier rang desquelles l’activité bancaire en 2003. Précurseur de l’assurance «?100?% en ligne?», il lance Amaguiz en 2008 et noue en 2010 de nouveaux partenariats de distribution avec La Banque Postale ou Casino. Et ses implantations à l’étranger (14 au total), rationalisées ont fait grandir le groupe, en témoigne l’explosion du résultat net depuis 2000. Mais, ambitieux, le plus capitaliste des mutualistes se sera rendu coupable d’avoir voulu voler un peu trop près du soleil…

Un changement dans la continuité

Le nouveau directeur général, Thierry Martel, a déployé la stratégie actuelle du groupe.

La nomination de Thierry Martel, 47 ans, a surpris en interne. Il était depuis 2008 directeur général assurance et banque de Groupama en France, donc à la tête de 70 % du chiffre d’affaires du groupe, mais pas nécessairement perçu comme le successeur de Jean Azéma. Son choix par les administrateurs ne manifeste en tout cas pas de volonté de rupture. Dans la maison depuis 20 ans, il a suivi un parcours complet : d’abord à la direction internationale de 1990 à 1995 puis huit ans au sein de la Caisse régionale Grand-Est avant de revenir au siège pour diriger l’audit et l’actuariat de 2003 à 2005, puis d’être nommé directeur des assurances de personnes jusqu’en 2006 avant de voir son périmètre évoluer comme directeur de l’assurance individuelle et des services de Groupama SA puis il y a trois ans de devenir le patron de la France. Il a donc largement participé au déploiement de la stratégie de Jean Azéma. Il a notamment été l’artisan du projet de rééquilibrage de l’activité entre villes et campagne dont l’objectif était de gagner en dix ans 500.000 clients dans des communes de plus de 100.000 habitants. Il a piloté des innovations majeures comme le lancement du site d’assurance en ligne Amaguiz qui sert aussi de plate-forme au partenariat récent conclu avec La Banque Postale.

Priorité à la France

S’il a fait presque toute sa carrière dans le groupe, Thierry Martel n’avait pas, a priori, de lien avec le monde agricole contrairement à Jean Azéma, qui est notamment diplômé de l’École supérieure d’agriculture de Purpan (Esap). Polytechnicien, diplômé de Sciences Po et de l’Institut des actuaires, Thierry Martel a débuté à l’autorité de contrôle des assurances en exerçant pendant trois ans comme commissaire contrôleur avant de rejoindre l’assureur vert directement à une fonction centrale. À cet égard, il incarne le nouveau management voulu par le groupe.

Sa nomination à la direction générale pourrait aussi marquer la volonté des administrateurs de donner la priorité à la France par opposition au développement international parfois mal compris ou mis en question en interne. Des rumeurs sur d’éventuelles cessions de filiales à l’étranger circulent déjà. Thierry Martel est, en effet, confronté à la nécessité de renforcer la solvabilité de l’assureur. Parmi ses leviers d’actions, il y a bien sûr la vente d’activités, la modification du programme de réassurance mais aussi l’appel de fonds auprès des caisses régionales. S. So.