EDOUARD LEDERER

LES TAUX FAIBLES DE LA BCE AURAIENT DÛ INCITER LES ÉPARGNANTS À PRENDRE PLUS DE RISQUES. RIEN DE TEL EN FRANCE, OÙ LES MÉNAGES ONT UNE FOIS DE PLUS PRIVILÉGIÉ LES PLACEMENTS LES PLUS SÛRS.
Les épargnants français font de la résistance ! Alors que l’environnement de taux très faible devrait les inciter à cesser de thésauriser et à consommer davantage, l’épargne devrait finir l’année 2016 sur de nouveaux records, inédits depuis la crise financière. Selon des données compilées par BPCE, les Français ont ainsi mis de côté 43 milliards d’euros entre janvier et septembre (+10 % sur un an) hors titres (actions, obligations et OPCVM). Sur cette période de neuf mois, il faut remonter à 2008 pour trouver un montant de collecte supérieur. Les chiffres de la Banque de France – qui incluent les titres – suggèrent que, comme en 2015, la barre des 100 milliards d’euros mis de côté pourrait une nouvelle fois être atteinte. Au total, les Français restent, avec les Allemands, les plus grands épargnants en Europe. Conséquence logique, la machine à dépenser ne décolle pas. La consommation n’a pas connu de rebond spectaculaire en 2016, et a même stagné entre avril et décembre.

Priorité à l’épargne liquide
Mais les Français ne se contentent pas d’épargner beaucoup… ils le font aussi en privilégiant une prise de risque minimale, à contre-courant de la politique monétaire de la BCE. Les taux faibles devraient en effet pousser les épargnants à chercher le risque – comme les actions – pour obtenir du rendement. Mais les Français ne suivent pas ce scénario : le simple dépôt à vue non rémunéré – le compte courant – devrait pour la deuxième année de suite attirer plus de 30 milliards d’euros de dépôts supplémentaires. Les encours des dépôts à vue progressent depuis le printemps 2015 à un rythme très rapide, entre +8 % et +11 % de croissance par mois. Du jamais-vu depuis 2010 !

Toujours au chapitre des placements peu risqués, les livrets, qu’ils soient réglementés (

comme le Livret A
) ou pas (simple livret bancaire) restent appréciés par les Français. « Les épargnants ont fini par intégrer le fait que, dans cette période de taux bas,
la rémunération du Livret A était finalement acceptable
. Quant aux autres livrets et comptes à terme, ils subissent certes une décollecte, mais moins violente qu’en 2015 », souligne Alain Tourdjman, directeur études, veille et prospective du groupe BPCE.
Ce succès de l’épargne de court terme s’est logiquement accompagné d’une relative désaffection pour les produits nécessitant d’investir sur une plus longue durée. « C’est une vraie bascule par rapport à 2015 : le plan épargne logement (PEL) et les fonds en euros de l’assurance-vie, plébiscités l’an dernier, restent bien sûr des locomotives, mais ont ralenti à partir du deuxième trimestre 2016 », analyse Alain Tourdjman. Les Français ont ainsi pris acte de

la chute des rendements de ces deux placements, longtemps restés relativement bien rémunérés
pour des placements peu risqués, toutes choses égales par ailleurs.
Logique patrimoniale
Plus largement, pourquoi les ménages français se montrent-ils si insensibles à la politique monétaire de la BCE ? Loin des préoccupations pour le rendement de l’épargne, « ils se comportent d’une façon parfaitement rationnelle. Ils ont bien intégré les enjeux liés à l’allongement de la durée de vie : comme ils anticipent une baisse du niveau de protection sociale face à des enjeux multiples – qu’il s’agisse de dépendance, de retraite ou d’aide aux proches – ils privilégient une logique patrimoniale. Cela explique pour partie que le taux d’épargne reste si élevé dans la durée en France, autour de 14,5 % », reprend Alain Tourdjman. A ces préoccupations s’ajoutent une aversion « culturelle » pour les placements jugés trop risqués, et une grille de référence des taux déformée : les Français ont été habitués ces dernières années à conjuguer rendement sympathique et prise de risque faible. Difficile de changer de logiciel d’une année sur l’autre.

Les épargnants français vont-ils pour autant camper indéfiniment sur leurs positions ? Pas forcément. Les comportements commencent à évoluer. Selon des données compilées par BPCE, la collecte nette (dépôts moins retraits, et hors effets de valorisation) de l’assurance-vie en unités de compte (UC, placement plus risqué que le fonds en euros, NDLR) a ainsi totalisé 10 milliards d’euros net entre janvier et septembre, quasiment deux fois plus que les contrats en euros. Encore faut-il que cette tendance se confirme dans la durée.
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