Obligations catastrophes : le Mexique va toucher 150 millions
GUILLAUME BENOIT
APRÈS LES TREMBLEMENTS DE TERRE DU 19 SEPTEMBRE, LE MEXIQUE A DEMANDÉ L’INDEMNISATION DE 150 MILLIONS DE DOLLARS PRÉVUE PAR SES « CAT BONDS ». UN OUTIL CRÉÉ PAR LES ASSUREURS POUR TRANSFÉRER UNE PARTIE DE LEURS RISQUES AU MARCHÉ, QUI OBÉIT À DES RÈGLES TRÈS PRÉCISES.
Les marchés financiers vont directement participer à la reconstruction du Mexique. Le pays d’Amérique centrale, frappé par deux tremblements de terre le 19 septembre dernier, va en effet recevoir 150 millions de dollars. Il ne s’agit pas d’une obole, mais de l’indemnisation prévue par le « catastrophe bond » monté par la Banque mondiale en août dernier au profit du pays. Ces « obligations catastrophes » ou « cat bonds » sont des titres de dettes qui fonctionnent comme un contrat d’assurance. Pour faire simple, si aucune catastrophe n’intervient pendant la durée de vie de l’obligation, les investisseurs sont remboursés. Mais, en cas de séisme ou de tornade, ils peuvent perdre intégralement leur capital, au profit du bénéficiaire.
Pour la Banque mondiale, qui agit par le biais de la Banque internationale de reconstruction et de développement, c’est une façon de venir en aide à un pays sans avoir à débourser elle-même l’intégralité des fonds. Elle se contente de payer une prime de risque. Sur le même modèle, elle a structuré il y a quelques mois
des « pandemic bonds »
, qui déclencheront un financement en cas de retour d’une épidémie majeure en Afrique.
Les investisseurs, eux, font un pari très encadré. Selon le calcul des agences spécialisées, un tremblement de terre comme celui survenu en septembre n’arrive que tous les 25 ou 30 ans, quand la durée du « cat bond » était de trois ans. La probabilité de perdre leur mise était donc, en théorie, limitée. De même, il ne suffit pas que la terre tremble pour actionner le paiement de l’aide. Le contrat des obligations mexicaines est très précis. Il définit exactement les zones d’épicentre des séismes, et leur magnitude. Selon Artemis, une agence spécialisée dans les « cat bonds », la magnitude du tremblement de terre ayant atteint 8,1, l’intégralité de la somme sera versée à Fonden, le fonds mexicain dédié à l’indemnisation des catastrophes. Entre 7,8 et 8, les versements s’échelonnaient entre 25 % et 75 %. Et si l’un des critères n’avait pas été rempli, l’aide n’aurait pas été débloquée.
Pas d’indemnisation pour Harvey
Mexico en a d’ailleurs fait l’expérience, fin août. La tranche de son « catastrophe bond » couvrant, elle, les risques de tornade n’a pu être déclenchée après l’ouragan Harvey. Certes, celui-ci n’a pas directement frappé les côtes mexicaines, mais il a touché terre dans la zone prévue par le contrat. Toutefois après une étude très poussée, la pression au sol était trop élevée, entre 941 et 938 millibars. Or plus elle est basse, plus la violence de l’ouragan est forte.
Et le contrat prévoyait une pression entre 935 et 932 millibars… Pour le tremblement de terre, en revanche, les éléments sont clairs et les fonds seront débloqués rapidement. Ironie du sort, la tranche qui couvrait les séismes était la moins rémunératrice des trois que compte le « cat bond » mexicain. Les investisseurs avaient accepté un rendement plus bas (4,5 %), car il permettait de diversifier leurs risques.
Quand les marchés se font assureurs
G. B.
LES « CAT BONDS » OFFRENT UNE ALTERNATIVE AUX ASSUREURS QUI SOUHAITENT COUVRIR LEURS PROPRES RISQUES. POUR LES INVESTISSEURS, C’EST UNE CLASSE D’ACTIFS PLUTÔT RENTABLE.
C’est un marché relativement jeune, vingt ans à peu près. Mais les « catastrophe bonds » ont su se faire leur place dans les solutions de réassurance. Ces produits financiers structurés ont en effet vu le jour après deux catastrophes majeures aux Etats-Unis, l’ouragan Andrew en 1992 et le séisme de Northridge (Californie) en 1994. Les dégâts avaient été tels que certains réassureurs – les assureurs des assureurs – ont fait défaut. L’idée a alors germé de se tourner vers les investisseurs. Et de créer un instrument alternatif et sûr, qui déclenche des remboursements en cas de séisme ou d’ouragan graves. Tout en offrant des rendements attractifs.
« Aujourd’hui, les encours de cat bonds avoisinent les 26 milliards de dollars, estime François Divet, responsable de l’équipe ILS chez AXA IM. Et les volumes émis chaque année tournent autour de 6 à 9 milliards. » Et il peut encore croître. Selon
une étude de Munich Ré
, entre un et deux tiers des dommages provoqués par les catastrophes naturelles chaque année ne sont pas couverts. Si ces instruments financiers ont été créés pour des assureurs, qui représentent 90 % des encours, ils ont aussi séduit des organismes supra-étatiques, comme la
Banque mondiale
, et des entreprises. Il y a quelques années, ERDF, qui gère le réseau de transport d’électricité en France, s’était ainsi couvert contre les risques de tempête en Europe.
En termes de couverture géographique, la plupart des obligations catastrophes concernent de potentiels cataclysmes aux Etats-Unis. Concrètement, le « cat bonds » repose sur une structure créée pour l’occasion, un special purpose vehicule, ou SPV. « Les investisseurs ne confient pas les sommes qu’ils souscrivent directement à l’assureur, mais à ce SPV, explique François Divet. Ce procédé permet au bénéficiaire d’être sûr qu’il touchera son dû en cas de catastrophe éligible, même si l’investisseur fait défaut. Et à l’inverse, à l’investisseur d’être remboursé si les obligations ne sont pas déclenchées, quand bien même le bénéficiaire ferait défaut. »
La transaction est donc entièrement sécurisée. L’argent ne dort pas pour autant. Il est placé dans des outils très sûrs, principalement des fonds monétaires, et le rendement de ces placements est reversé aux investisseurs, s’ajoutant à la prime d’assurance. Les cas de déclenchement de l’indemnisation sont également définis avec précision. Il peut s’agir de critères constatés, comme la pression d’un cyclone ou la magnitude d’un tremblement de terre sur des zones définies. Dans d’autres cas, c’est le coût supporté par l’assureur ou par l’ensemble des assureurs d’un pays donné qui sert de déclencheur. Ces risques sont modélisés par des organismes spécialisés, comme AIR Worldwide, qui détermine une probabilité que l’événement garanti se réalise. Les obligations catastrophes ont généralement une maturité de trois ans.
Un investissement souvent très rentable
Du côté des investisseurs, le produit offre de nombreux avantages : il est sécurisé, généralement peu volatil – sauf lors des rares successions de catastrophes comme actuellement – et rémunérateur. « Nous avons des fonds dédiés à cette classe d’actifs que nous proposons à des investisseurs sophistiqués qui souhaitent diversifier leur portefeuille et prendre plus de risques pour accéder à des rendements attractifs », indique François Divet. Un pari qui est souvent gagnant. Bon an mal an, l’indice Swiss Re qui représente les « cat bonds » gagne entre 5 % et 7 %. Cette année, la performance sera probablement légèrement négative, mais rien de rédhibitoire dans un univers de taux bas.
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