Le Trèfle, lobby informel des grands dirigeants de l’âge d’or du LBO, a perdu ses forces vives. Incontournable face aux fonds, il doit trouver sa relève.
« Confrérie », « contre-pouvoir » des fonds, « lobby patronal »… : à l’âge d’or des LBO (acquisitions d’entreprise par effet de levier de la dette) en 2006-2007, le Trèfle, cercle discret et informel de puissants dirigeants de grandes entreprises en LBO, était associé à tous les pouvoirs. Nul, chez les fonds actionnaires, n’aurait vraiment osé contester officiellement la ligne de l’un de ses membres, même présumé (l’identité de ses participants n’a jamais été totalement publique). Mais, après dix ans d’existence, le Trèfle a perdu de l’influence qu’on lui prêtait et certaines de ses figures emblématiques. Levier pourtant incontournable des dirigeants pour rééquilibrer leur pouvoir face aux fonds d’investissement, il doit maintenant trouver sa relève.
Exception française
Au départ, ils sont une quinzaine de grands patrons à créer cette exception française dans le paysage européen du capital-investissement, où les fonds dictent alors les termes des transactions, et notamment le partage des plus-values. Les dirigeants de Vivarte (Georges Plassat), Frans Bonhomme (Michel Pic), Picard (Xavier Decelle), Fraikin (Olivier de La Morinière), Terreal (Hervé Gastinel), se rassemblent de façon informelle sous l’impulsion d’Olivier Legrain (Materis) pour échanger sur les bonnes pratiques des montages d’acquisition en pleine expansion, où ils se retrouvent aussi investisseurs, ainsi que sur les sujets sensibles (package de rémunération des dirigeants, actionnariat salarié, fiscalité des dirigeants, relations avec les fonds). Ils créent aussi leur propre fonds commun par lequel ils investissent de manière croisée dans les groupes des uns et des autres.
La concurrence entre fonds aidant aussi pour s’arracher les meilleures opérations, le rapport de force penche en leur faveur. Dans certaines enchères, la cause est perdue sans le soutien des dirigeants. Mais la bascule se révèle véritablement avec la cession de Converteam. La revente du groupe en 2008, deux ans après l’avoir sorti vivotant du giron d’Alstom, cristallise les tensions avec les fonds, pour qui l’inversion du rapport de force est allée trop loin. Pierre Bastide et l’équipe de management élargie reçoivent autour de 900 millions d’euros, plus que la plus-value du fonds vendeur Barclays Private Equity. Un « LBO jackpot » qui fait craindre aux fonds un précédent.
La crise rebat les cartes
Mais la crise éclate et rebat les cartes. Elle remet en question une série de montages plombés par la dette et la chute des résultats. Et, avec ces derniers, l’influence de dirigeants que les fonds n’ont pas hésité à remplacer. D’autres patrons se sont lassés, ou ont rejoint des grands groupes de l’industrie. Georges Plassat a rejoint Carrefour en 2012, alors que Vivarte commençait à souffrir de la mauvaise conjoncture. Michel Pic, dirigeant historique de Frans Bonhomme, a cédé les rênes en 2009 et son groupe, depuis, est tombé entre les mains de créanciers.
Deux dirigeants cependant seront restés jusqu’au bout incontournables. Hervé Gastinel, le patron de Terreal, depuis sa sortie du giron de Saint-Gobain en 2003, encore aux commandes malgré deux profondes restructurations. Et enfin l’initiateur du Trèfle lui-même, Olivier Legrain, à la tête de Materis depuis sa sortie de Lafarge en 2001. Il assure depuis la restructuration financière du groupe la revente de divisions. Mais il prendra lui-même le large en fin d’année.
Selon un dirigeant du secteur, la défense d’intérêts communs au sein du Trèfle se justifierait moins aujourd’hui : « Avec l’enchaînement de LBO d’une série d’entreprises, la courbe d’expérience des dirigeants a augmenté. Les rapports entre fonds et patrons de LBO sont plus équilibrés. » Jusqu’à quand ? Pour l’heure, quelques très grands patrons dictent leurs conditions dans leurs opérations (lire ci-dessous). Mais ils n’en sont pas à leur coup d’essai.