SOPHIE ROLLAND

SOUMIS DEPUIS PLUS D’UN AN À SOLVABILITÉ II, LES COMPAGNIES D’ASSURANCES ONT DE PLUS EN PLUS RECOURS À DES GÉRANTS TIERS POUR DOPER LE RENDEMENT DE LEURS ACTIFS.
Actifs réels pour doper les rendements, actions couvertes pour limiter la charge en capital liée à Solvabilité II, stratégies de rendement absolu (« total return »), offres de délégation de bilan… Les gestionnaires d’actifs rivalisent d’inventivité pour séduire les assureurs. Le marché est prometteur. Dans le monde, les actifs délégués par les assureurs à des tiers sont déjà passés de 634 milliards de dollars, en 2005, à 1.680 milliards de dollars, fin 2015. Soit un rythme de croissance annuel moyen de plus de 10 %, selon l’Insurance Investment Outsourcing Report, qui établit également un classement des gestionnaires sur cette catégorie de clientèle. BlackRock arrive ainsi en tête du palmarès hors Etats-Unis (essentiellement Europe), avec 155 milliards de dollars d’actifs gérés pour le compte de compagnies d’assurances, suivi d’Amundi (117 milliards), Deutsche AM (96 milliards), Goldman Sachs (58 milliards), Pimco (54 milliards) et JP Morgan AM (50 milliards). Les autres français, AXA IM et Natixis Global AM arrivent en 10e (20 milliards de dollars hors AXA) et 13e position (10 milliards).

Baisse des rendements
Trois phénomènes sont à l’origine de cette tendance. D’abord, la baisse des rendements. L’année 2014 a marqué un tournant : avec un rendement de l’OAT inférieur à 2,5 %, les assureurs ont dû diversifier leurs avoirs pour honorer leurs engagements. « Les assureurs – avant, surtout les petits, mais, maintenant, également les grands – ont recours aux asset managers pour investir dans des classes d’actifs qu’ils connaissent mal », confirme un professionnel. La dernière enquête de Goldman Sachs AM indique que les assureurs ont recours à des gérants tiers pour investir, dans l’ordre, dans la dette d’entreprises américaines, le non-coté, la dette à haut rendement, la dette d’infrastructure, les prêts directs et la dette émergente.

Deuxième facteur : l’entrée en vigueur de Solvabilité II au 1er janvier 2016. Les assureurs doivent désormais optimiser le coût en capital de leurs investissements. Et si la nouvelle réglementation a été largement anticipée, elle n’est toujours pas évidente à gérer pour tous. Dans un sondage mené par AXA IM auprès de 122 acteurs européens fin 2016, 72 % des assureurs avec des actifs inférieurs à 2 milliards d’euros estiment qu’il est compliqué d’opérer sous la nouvelle réglementation, contre seulement 28 % de ceux qui ont plus de 5 milliards d’euros d’actifs.

Enfin, les assureurs dépendant d’un groupe bancaire devront dès janvier 2018 se soumettre aux normes comptables IFRS 9. « Ces acteurs supportent une contrainte supplémentaire car ils doivent s’assurer que le traitement comptable de leur investissement est adéquat », souligne Mathilde Sauvé, responsable des solutions institutionnelles chez AXA IM.

Comment les gérants peuvent-ils répondre à ces attentes ? Sur le coeur de portefeuille (environ 70 % du bilan des assureurs), là où s’appliquent le plus fortement les contraintes de gestion actif-passif, le défi est de réinvestir sans dégrader le rendement global. « Ajouter des actifs moins liquides – prêts aux entreprises, prêts immobiliers, dette d’infrastructure, placements privés – à un portefeuille obligataire traditionnel permet de préserver un taux de réinvestissement de 2 à 2,5 % ». Autre possibilité : baisser la notation moyenne du portefeuille et en allonger la maturité. Les assureurs sont ainsi de plus en plus enclins à intégrer de la dette bancaire subordonnée, du crédit non européen en dollars ou des titres indexés. Un point d’attention toutefois : « Le coût de la couverture de change du dollar vers l’euro n’a jamais été aussi élevé », prévient Mathilde Sauvé. Un emprunt « high yield » en dollars – qui rapporte environ 4 % – verra ainsi son rendement amputé de 180 points de base.

Pour les acteurs les plus sophistiqués ou ceux qui ont déjà « travaillé » leur portefeuille, les gestionnaires d’actifs proposent également des solutions multi-classes d’actifs, permettant d’intégrer les contraintes de risque ou celles liées à la réglementation. « Les stratégies “total return” peuvent porter sur quelques pourcentages de l’allocation d’un assureur et donner un rendement de 3 % avec un SCR de 15 à 20 %. » Les actions couvertes connaissent également un beau succès. Les gérants ont multiplié les offres ces derniers mois. « L’introduction de stratégies asymétriques, réduisant à la fois la volatilité et la perte en cas de choc extrême – et donc le coût en capital sous Solvabilité II -, permet aux assureurs de maintenir, voire d’augmenter leur exposition au marché actions », indiquent les spécialistes de CPR AM.
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