L’aversion au risque fait son retour sur les marchés financiers
Les investisseurs se couvrent contre la montée des risques. Les actifs refuge comme l’or sont très recherchés
Tensions en Corée du Nord et avec la Russie, incertitude électorale grandissante en France… depuis quelques jours, le sentiment de risque fait son grand retour sur les marchés financiers, précipitant les investisseurs vers les actifs refuges, mais sans provoquer, pour l’instant, de choc sur les marchés actions.
Cet appétit s’explique notamment par « les préoccupations liées aux risques géopolitiques et politiques, mêlant les tests de missiles en Corée du nord et les menaces de plus en plus pressantes des Etats-Unis, la frappe américaine en Syrie et la montée de Jean-Luc Mélenchon dans les sondages en France », explique un analyste de London Capital Group interrogé par Bloomberg. Les marchés doivent notamment s’adapter au nouveau style diplomatique de la Maison Blanche sous Trump. « Les Etats-Unis sont passés d’une logique multilatérale à une logique bilatérale en matière de relation internationale. Avec une logique de rapport de force. Or les marchés ont besoin de relations apaisées et attendent de voir comment ce nouveau type de relation va permettre de régler les choses de façon plus apaisée », indique Wilfrid Galand chez Neuflize OBC. Le match a quatre en vue du premier tour de l’élection présidentielle et le risque d’un second-tour entre Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon font aussi frémir les investisseurs.
Une croissance solide qui demande confirmation
Mais la politique n’explique pas tout selon Wilfrid Galand qui évoque aussi le « contexte économique: celui d’une croissance solide mais qui demande confirmation, au-delà des indicateurs de moral. Il y a eu des chiffres un peu décevants aux Etats-Unis comme les ventes automobiles ou sur la production, ce qui créent des doutes notamment sur les indices des petites et valeurs moyennes américains qui se sont effrités. Par ailleurs, les marchés ont un peu de mal à saisir l’agenda de Trump notamment sur sa politique fiscale ».
Cet environnement plus anxiogène profite notamment à l’or. Le métal précieux s’échange à près de 1.285 dollars l’once, des niveaux proches de ceux atteint juste avant l’élection de Donald Trump il y cinq mois. Il a gagné 6,68% en un mois. La perspective de nouvelles hausses des taux de la Fed (deux sont encore prévues cette année) devrait pourtant peser sur le cours du métal jaune, mais il n’en est rien constate le fabricant d’ETF de Source qui a engrangé plus de 500 milliards de dollars de collecte sur son ETF Physical Gold en 2017. « La reprise aux Etats-Unis ne semble plus aussi robuste, les valorisations des actions américaines sont tendues et les risques géopolitiques d’accroissent », constate Chris Mellor chez Source. Commerzbank note de son côté que les investisseurs ont acheté pour 7,6 tonnes d’or net, via des ETF, en seulement deux jours…
Le pétrole remonte
Les tensions se retrouvent aussi sur le prix du pétrole. Le baril de Brent vient de gagner 5,8 % en seulement deux semaines à près de 56 dollars. « Même si la Syrie n’est pas un acteur important du marché du pétrole, les marchés sont toujours sensibles à tout ce qui est susceptible de déstabiliser le Moyen-Orient », juge Aurel BGC. Autre actif refuge recherché par les marchés, la devise nippone qui a bondi de 1,7 % en quatre jours. Le franc suisse en revanche n’a que faiblement progressé.
Enfin, les investisseurs viennent aussi chercher de la protection sur les taux. Le bund allemand est revenu sous les 0,19% et est au plus bas de 2017, alors que le taux à 10 ans américain est retombé à 2,26 %. Il était monté à 2,62 % le 13 mars dernier. Un mouvement en contradiction avec le processus de hausse des taux engagé par la Fed et qui illustre bien le mouvement des investisseurs vers les actifs refuges.
Pas de correcton des actions
Surtout cette montée du risque ne s’accompagne pas d’une correction sur les actions. Ainsi, la Bourse de Paris va enregistrer, jeudi soir, pour la première fois depuis janvier quatre séances de baisse, mais le CAC 40 n’a perdu que 1,23 % sur cette période et reste proche de son plus haut depuis août 2015. C’est aussi le cas du Stoxx Europe 600 qui a touché mercredi un sommet depuis 18 mois. Quant au S&P 500 à Wall Street, il n’est qu’à 2,1 % de son record historique (2.395 points). « C’est vrai qu’il n’y a pas de mouvement de sorties massives des investisseurs », reconnaît Wilfrid Galand. «En revanche, il y a des arbitrages ». On assiste notamment au rebond des valeurs connectées à la croissance mondiale et à l’inverse à la baisse des banques. A Paris, cette semaine, les valeurs bancaires affichent parmi les pires performances de l’indice, Société Générale perdant 6,44 %, Crédit agricole 5,2 % et BNP Paribas 4,1 %. Des valeurs perçues depuis quelques mois comme des bons baromètres de l’aversion des investisseurs pour le risque
« Les marchés sont entrées dans une phase de rééquilibrage. Beaucoup d’investisseurs cherchaient un prétexte pour prendre des bénéfices alors que les marchés sont montés vite et haut. C’est peut-être le moment opportun pour le faire. Après, c’est peut-être plus sain de voir que les marchés ne sont pas insensibles à la réalité et qu’ils peuvent s’ajuster autrement que par de grands chocs », apprécie Wilfrid Galand.
Attentisme
Aurel BGC constate de son côté que les investisseurs ont nettement augmenté leur couverture sur des indices comme le Cac 40 ou l’Euro Stoxx 50, comme en témoigne la forte hausse du coût des options. Une bonne solution, plutôt que de vendre des actions, alors que la probabilité d’une victoire des extrêmes en France reste limitée. « Dans ces conditions ne pas prendre de paris sur les marchés est sans doute l’attitude la plus sage, car même si les indices réagissent, les mouvements seront trop rapides (à la hausse comme à la baisse) et n’apporteront aucune garantie quant à la mise en place d’une tendance durable ». Certains gérants comme Amplegest reconnaissent toutefois « aborder cette dernière ligne droite électorale française avec un peu plus de prudence », et avoir en conséquence « légèrement augmenté les liquidités dans nos portefeuilles ».
Pierrick Fay
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