EMMANUEL SCHAFROTH

LA BLOCKCHAIN EST L’UN DES SUJETS CLEFS DU MOMENT POUR LES GESTIONNAIRES D’ACTIFS. AU-DELÀ DE L’EFFET DE MODE, CETTE TECHNOLOGIE TROUVE DE NOMBREUSES APPLICATIONS DANS LA GESTION.
Le fondement de la blockchain est de fournir une base de données publique à laquelle tout le monde aura accès et qui permettra de conserver un historique de toutes les transactions. Ce système permet de valider des transactions sans intermédiaire », explique Florian Graillot, associé d’Axa Strategic Ventures, structure de capital-risque spécialisée en fintech. La différence dans la complexité du traitement d’une opération s’apparente à la différence entre une transaction réglée par carte bancaire et une transaction réglée en espèces. La blockchain permet ainsi d’accélérer la validation des transactions puisque c’est un réseau « peer to peer » qui s’en charge, au lieu d’un tiers de confiance.

Les gestionnaires d’actifs réalisant sans cesse des transactions, la blockchain est un enjeu important de leur transformation digitale. « L’effet de mode semble dépassé : on ne s’imagine plus que la blockchain va “disrupter” le secteur et on se focalise sur les apports réels de la technologie », estime Arnaud Misset, directeur des produits de CACEIS. « L’usage le plus immédiat que la gestion d’actifs peut faire de la blockchain est la tenue de passif des fonds », estime Pierre Davoust, qui dirige le bureau parisien de la société fintech SETL. Autrement dit, régler la problématique liée au transfert de propriété des parts de fonds. En Europe, deux modèles coexistent. Celui du dépositaire central, utilisé en France, est automatisé et efficace, mais passe nécessairement par les banques. « Les investisseurs internationaux sont plus habitués au modèle d’agent de transfert du Luxembourg et de l’Irlande. Il a le défaut d’être coûteux et la blockchain permettrait de développer ce modèle en France à un coût 10 ou 20 fois moindre tout en renforçant sa sécurité », estime Pierre Davoust.

Questions en matière de gouvernance…
Plusieurs acteurs sont déjà à la manoeuvre. « Nous venons de commencer la phase de construction d’un prototype, qui se poursuivra tout au long de l’année 2017, en partenariat avec un agent de transfert important. Nous sommes l’un des premiers de notre industrie à lancer une expérimentation avec la blockchain dans ce domaine », avance Joseph Pinto, directeur opérationnel mondial d’Axa IM. Un consortium s’est aussi constitué en 2016 autour d’Euronext, avec pour objectif de simplifier par la blockchain les opérations post-marché sur les titres des PME. « Faites par la filière post-marché actuelle, ces opérations prennent deux jours, ce qui est long pour des titres peu liquides comme ceux des PME, et coûtent aussi cher que pour une valeur du CAC40. Notre ambition est de créer une société commune entre les différents acteurs du marché, avec pour objectif d’être opérationnels dans deux à trois ans », explique Anthony Attia, PDG d’Euronext Paris. Initialement lancé avec sept acteurs (dont Euroclear, Société Générale et BP2S), ce consortium voit ses rangs grossir avec notamment l’arrivée de CACEIS.

L’enjeu est important, car il ne s’agit pas seulement de réduire les coûts mais de réinventer complètement la manière de distribuer les fonds. L’Association française de la gestion financière (AFG) s’est d’ailleurs saisie du sujet et a constitué un groupe de travail, dans la continuité de la publication de son guide sur « La Transformation digitale des sociétés de gestion ». Objectif : examiner les modalités de mise en oeuvre de la blockchain dans les sociétés de gestion et surtout répondre à la

consultation lancée par le Trésor le 24 mars sur les réformes législatives et réglementaires nécessaires à la mise en oeuvre du dispositif d’enregistrement électronique partagé (DLT)
. D’autres applications sont envisageables. « Les produits dérivés de gré à gré qui permettent des transferts de risque entre banques et asset managers pourraient être gérés par une blockchain, car cela permet d’automatiser le cycle de vie du produit et de notifier en temps réel les parties prenantes lors du franchissement d’une barrière ou de la levée de l’option », explique Philippe Meyer, directeur d’Avaloq Innovation. Autre axe de développement : les actifs non cotés. « En fonction des pays, il est plus ou moins facile de valider les transferts de propriété de titres non cotés », rappelle Florian Graillot. L’utilisation de la blockchain, en fournissant un historique incontestable des transactions, pourrait être d’une grande aide pour fluidifier le marché secondaire. Ce n’est pas un hasard si la plate-forme de « crowdfunding » SmartAngels travaille sur ce sujet avec BP2S.
… et de confidentialité des données
Alors, certes, l’adoption de la blockchain pose certaines questions en matière de gouvernance ou de confidentialité des données. De plus elle nécessitera une transformation des systèmes d’information. Mais la machine semble bien lancée. « Il est peu probable que l’intérêt de la gestion d’actifs pour la blockchain retombe étant donné l’argent déjà investi », pense Igor Gramatikovski, responsable produit chez l’éditeur de logiciels financiers SimCorp. Chez Deloitte, le sujet mobilise « 900 personnes, notamment à New York et Dublin », confie Pascal Koenig, associé Deloitte France.