Solveig GodeluckEtienne Lefebvre

La concertation sur la réforme des retraites n’a toujours pas été officiellement lancée. Craignez-vous un glissement du calendrier ?
Nous avons hâte de nous mettre autour de la table pour commencer à travailler sur cette
réforme
essentielle. Il y a urgence à avancer
pour aboutir en 2019
, comme indiqué par le gouvernement, car un tel sujet nécessite beaucoup de débats et de pédagogie. Au sein des régimes complémentaires des salariés du privé (Agirc-Arrco), pour préparer notre accord d’octobre 2015, nous avions consacré six mois de discussions préalables sur des éléments de diagnostic, puis huit mois pour la négociation. Or la réforme annoncée par le président de la République est bien plus complexe, puisqu’il s’agit de passer à un régime universel où chaque euro cotisé donne les mêmes droits. Il va falloir notamment harmoniser les dispositifs de départ anticipé (carrières longues, pénibilité, handicap, etc.) et déterminer comment on les finance. Et, dans ce régime essentiellement contributif, distinguer ce qui relève de la cotisation ; et les prestations solidaires devant être financées par un impôt à base large.

Les résultats de l’accord de 2015 sont-ils conformes à vos attentes ?
Les partenaires sociaux ont pris leurs responsabilités avec des mesures efficaces, prévoyant en particulier un système innovant de décote-surcote incitant à rester en activité au-delà de l’âge légal de départ. L’Agirc-Arrco est sur le bon chemin, même si le déficit technique n’est pas encore résorbé.
L’équilibre financier des retraites n’est toujours pas garanti. Est-il nécessaire de prendre des mesures de redressement de court terme ?
Vous savez, les retraites, c’est très simple, il n’y a que quatre paramètres à actionner : le temps travaillé, les cotisations, l’âge effectif de départ et le niveau des pensions. Les difficultés ne viennent pas d’une insuffisance de ressources : il est donc inutile de dépenser plus que 14 % du PIB. Nous proposons d’ailleurs de faire comme l’Allemagne et de figer par la loi le niveau de cotisations versées par les entreprises, plus de 80 milliards d’euros aujourd’hui. Nous ne voulons pas non plus faire baisser le niveau des pensions.
Et Emmanuel Macron ne veut pas toucher à l’âge légal de départ à 62 ans…
Partout chez nos voisins, l’âge de départ se situe autour de 65 ans, voire 67 ans. Nous devons donc inciter les assurés à partir plus tard que l’âge légal, comme nous l’avons fait avec notre accord à l’Agirc-Arrco. Il faudra mettre en place une nouvelle décote suffisamment forte pour que les gens soient incités à partir vers un âge garantissant l’équilibre du système. Et cet « âge d’équilibre » peut être déterminé en fonction de l’évolution de l’espérance de vie, des paramètres économiques, etc.
Pour le futur régime universel, Emmanuel Macron a laissé le champ ouvert entre un système par points ou en comptes notionnels. Que préférez-vous ?
Les deux sont justifiés, mais nous préférons un système en points, plus compréhensible que les comptes notionnels. Un capital virtuel affecté d’un coefficient d’espérance de vie, c’est un peu abstrait, surtout si l’on commence à distinguer entre les catégories socioprofessionnelles. Il faudra restaurer la confiance, avec des règles simples. C’est mieux si vous savez en permanence combien de points vous avez accumulés. De plus, le pilotage automatique des comptes notionnels est illusoire si on le débranche dès qu’une crise survient. Nous préférons le pilotage semi-automatique, comme à l’Agirc-Arrco.
A quel rythme devra se faire la transition ?
Le président de la République a déjà annoncé un délai de cinq ans pour les personnes qui sont proches de l’âge de la retraite. Pour les autres, la période de transition reste à discuter. En tout cas, nous voulons que tous y aillent au même rythme, y compris les régimes spéciaux. C’est d’ailleurs l’intérêt des régimes à la démographie vieillissante, aujourd’hui équilibrés par une dotation de l’Etat, que d’intégrer un régime universel. Mais ils devront en contrepartie abandonner certains avantages spécifiques. De plus, le futur système doit être construit sur le refus d’une trésorerie négative et sur l’existence de réserves financières contracycliques.
Vous craignez un détournement des 60 milliards de réserves de l’Agirc-Arrco ?
Nous sommes prêts à mettre dans un pot commun à condition que chaque régime l’abonde à un niveau proportionnellement équivalent. Le système par répartition s’appuie sur la solidarité générationnelle, et, dans ce système, on ne paie pas les pensions par de la dette ou par des subventions. Les efforts consentis par les entreprises et les salariés du privé au sein de l’Agirc-Arrco ne doivent pas bénéficier au laxisme d’autres régimes.
Les partenaires sociaux joueront-ils encore un rôle dans le nouveau système universel ?
Il faut envisager toutes les hypothèses. Si nous n’avons plus la responsabilité pleine et entière, il faudra se poser des questions. Le paritarisme de négociation ou de gestion, c’est utile. Le paritarisme de figuration a moins d’intérêt, et il ne faut pas créer en plus un paritarisme d’exécution, où le gouvernement décide quoi faire et comment faire.
Le régime par répartition suffit-il ou bien faut-il introduire une dose de capitalisation ?
Les salariés du privé doivent avoir accès à des systèmes de capitalisation avec sortie en rente équivalents à ceux dont bénéficient les indépendants, les agriculteurs et les fonctionnaires. Nous voulons de l’équité. Introduire de la capitalisation serait favorable à la fois pour les salariés, les retraités et pour l’économie française, car la constitution d’une épargne de long terme permet de faire des choix d’investissement structurants. Cependant, qu’elle soit individuelle ou collective, il faut que la capitalisation soit facultative. Enfin, les versements effectués pour la constitution d’une retraite par capitalisation doivent bénéficier du même traitement fiscal et social que les cotisations aux régimes par répartition.
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