Laurent Thévenin
Presque dix ans après avoir failli sombrer, le géant américain de l’assurance est reparti sur le chemin de la croissance.
Il souffle comme un vent de renouveau sur AIG. Alors qu’il fêtera son centième anniversaire en 2019, le vénérable assureur américain fondé par Cornelius Vander Starr semble être revenu plusieurs années en arrière. En janvier, il s’est offert une acquisition à plus de 5,5 milliards de dollars (4,5 milliards d’euros) comme il n’en avait plus annoncé depuis très longtemps.
Ce n’est certes ni la transaction du siècle dans le secteur (les 29,5 milliards de dollars déboursés par ACE pour son concurrent américain Chubb en 2015) ni même celle de l’année (AXA a fait plus fort en mars en promettant de payer 15,3 milliards de dollars pour XL Group). Mais
le rachat de Validus, un réassureur basé aux Bermudes
, renvoie aux plus belles heures d’AIG, quand son légendaire patron, Maurice « Hank » Greenberg, resté aux manettes de 1967 à 2005, multipliait les emplettes pour faire d’American International Group le numéro un mondial du secteur. Cette opération semble surtout marquer le début d’un nouveau cycle pour un groupe
au bord du gouffre il y a presque dix ans.
Depuis la crise financière qui a failli l’emporter en septembre 2008, le lendemain de la faillite de Lehman Brothers, l’heure n’était plus aux grandes offensives chez AIG. Celui-ci s’en était tenu en tout et pour tout à trois opérations de petite dimension : Fuji Fire and Marine au Japon en 2011, Ageas Protect au Royaume-Uni en 2014 et Laya Healthcare en Irlande en 2015.
Thérapie de choc
L’urgence a été au contraire de vendre tout ce qu’il pouvait. C’était la condition sine qua non pour pouvoir rembourser les 182 milliards de dollars d’argent public injectés par les autorités américaines pour sauver cet établissement financier alors jugé « too big to fail ». Une thérapie de choc et un recentrage qui lui ont permis de sortir de l’ornière. Mais l’assureur n’en avait pas moins poursuivi sa cure d’amaigrissement ces dernières années.
Sous la pression d’investisseurs activistes, Peter Hancock, PDG de septembre 2014 jusqu’à sa démission en mai 2017
, s’était employé à rendre le groupe « plus léger et plus profitable », avec de nouvelles cessions d’actifs à la clef.
C’est un AIG considérablement aminci (il aura cédé au total pour 500 milliards de dollars d’actifs !) qui vient donc de prendre un virage à 180 degrés.
Son nouveau PDG, Brian Duperreault, appelé à la rescousse au printemps dernier
, tient un discours offensif comme à la belle époque. Rien d’étonnant : il fut le lieutenant de « Hank » Greenberg jusqu’en 1994. « Je ne suis pas venu pour casser l’entreprise en deux. Je suis venu pour la faire croître », a promis ce septuagénaire connu pour avoir mis sur les rails du succès le concurrent Ace dans les années 1990 et 2000, puis relancé le groupe Marsh & McLennan.
Il ne s’agit pas de faire grandir n’importe quel groupe. S’il n’est plus l’assureur qui dominait jadis la planète, AIG n’en reste pas moins un des géants de l’industrie, capable de couvrir une large panoplie de risques pour les entreprises comme pour les particuliers. Il est notamment aujourd’hui l’un des mieux positionnés pour profiter de l’explosion attendue de la demande de couvertures pour
les cyber-risques
.
Même après s’être délesté d’une quantité innombrable d’entités, dont des joyaux comme les compagnies d’assurance-vie AIA et Alico, il pèse encore 50 milliards de dollars de chiffre d’affaires et totalise toujours près de 500 milliards de dollars d’actifs. Autre atout, sa présence dans plus de 80 pays, l’un des réseaux les plus étendus parmi les grands assureurs internationaux. « L’un des grands avantages stratégiques de l’entreprise est son empreinte globale », a fait ainsi valoir Brian Duperreault.
L’intéressé n’aura pas attendu longtemps pour passer des paroles aux actes, avec l’acquisition de Validus, qui lui apporte une activité de réassurance, une porte d’entrée sur le marché londonien du Lloyd’s et de nouvelles capacités dans l’assurance spécialisée. Signe de ces velléités retrouvées de croissance, une indiscrétion de Bloomberg avait même fait état d’une tentative de rachat avortée de Voya Financial, un spécialiste de la retraite aux Etats-Unis, pour plus de 10 milliards de dollars en novembre.
Elargir son fonds de commerce
En tout cas, le terrain de chasse visé par Brian Duperreault est très vaste : il a évoqué pêle-mêle un intérêt pour faire grossir l’assurance-vie, les activités à l’international, ou encore l’assurance pour les petites et moyennes entreprises aux Etats-Unis. L’un des enjeux pour AIG, très tourné vers les multinationales, est précisément d’élargir son fonds de commerce.
Le nouvel homme fort d’AIG a pour l’instant en tout cas les coudées franches. Son message a en effet l’air de plaire à
Carl Icahn
, le quatrième actionnaire du groupe, qui s’agitait naguère pour obtenir une scission en trois entités distinctes, devant, selon lui, créer davantage de valeur. Les actionnaires n’ont pas davantage émis de critiques après que Brian Duperreault n’a pas manifesté l’intention de suivre les traces de son prédécesseur, qui avait engagé un plan visant à leur retourner 25 milliards de dollars via des rachats d’actions ou des dividendes.
Surtout, l’assureur a une autre épine en moins dans le pied. Depuis le mois de septembre, il est débarrassé de son statut d’institution financière d’importance systémique (Sifi), qui lui valait une supervision et des exigences de fonds propres renforcées aux Etats-Unis. Cette décision acte le fait qu’AIG est « devenu une plus petite entreprise faisant planer une menace moins importante pour la stabilité financière » du pays, avait justifié Janet Yellen, la présidente de la Fed. Elle lui donne aussi autant de nouvelles capacités d’investissement en plus.
Il lui reste cependant à améliorer ce qui fait l’essence même du métier d’assureur : la qualité de souscription des risques. Et c’est là que le bât blesse… Ces dernières années, le groupe coté à Wall Street a en effet aligné des résultats de souscription bien plus mauvais que ses grands compétiteurs. A plusieurs reprises, il a dû renforcer ses provisions pour faire face à des coûts plus élevés que prévu sur des sinistres antérieurs. De mauvaises surprises qui ont coûté particulièrement cher à Peter Hancock. Brian Duperreault a, lui, décidé d’acheter davantage de réassurance pour mieux protéger le capital et les résultats. En 2017, une année marquée, il est vrai, par
une accumulation hors normes de catastrophes naturelles majeures
(les ouragans Harvey, Irma et Maria, les incendies géants en Californie), AIG a encore perdu beaucoup d’argent en assurance-dommages.
Comme si cela ne suffisait pas, AIG doit, à l’instar de ses homologues, résoudre la quadrature du cercle : résister à la fois à une pression tarifaire toujours très forte en assurance-dommages et à des taux d’intérêt bas particulièrement défavorables pour l’assurance-vie. Pour sortir de la mêlée, l’assureur, dont les trois lettres s’étalent sur le maillot des All Blacks néo-zélandais, mise aussi sur l’apport des nouvelles technologies pour l’analyse des risques. L’arrivée de Brian Duperreault s’est ainsi accompagnée d’un renforcement du partenariat avec Two Sigma Insurance Quantified afin de mieux utiliser la « data science » dans l’assurance des entreprises.
Dans ce contexte mouvant, AIG a pris une décision guère au goût des investisseurs en s’abstenant désormais de communiquer des objectifs chiffrés. Le meilleur moyen de ne pas décevoir les attentes et, le cas échéant, de créer la surprise.
Chiffres clefs
Résultat net : -6,08 milliards de dollars en 2017
Chiffre d’affaires : 49,52 milliards de dollars, dont 64 % dans l’assurance-dommages (31 % en Amérique du Nord et 33 % à l’international) et 33 % dans l’assurance-vie et la retraite.
AIG est l’assureur de 88 % des compagnies du Fortune Global 500 et de 83 % des entreprises du Forbes 2000.
Effectif :49.800 employés
Capitalisation boursièreau 28 mars : 48,53 milliards de dollars
Fonte: