SOLVEIG GODELUCK
L’ASSURANCE-MALADIE A MENÉ UNE ENQUÊTE POINTANT UN FORT TAUX DE RENONCEMENT. POUR INCITER LES MALADES À SE FAIRE SOIGNER, ELLE MULTIPLIE LES PLATES-FORMES LOCALES D’ACCÈS AUX DROITS.
Le chiffre est important. Un quart des assurés sociaux (26,5 % exactement) ont renoncé à se faire soigner en 2016, selon l’Observatoire des non-recours aux droits et services (Odenore). Mandaté par la Caisse nationale d’assurance-maladie, ce dernier a sondé 29.000 personnes se présentant dans les CPAM. Environ 39 % des assurés interrogés font une croix sur des prothèses dentaires (sans plafond tarifaire jusqu’en 2017), 34 % sur des soins dentaires conservateurs (des tarifs pourtant régulés). Viennent ensuite les consultations de spécialistes, l’ophtalmologie et les lunettes.
Les patients en question évoquent à 59 % le reste à charge trop élevé et à 32 % l’avance de frais impossible. Les délais de rendez-vous trop longs ou le manque de disponibilité des médecins ne sont mis en avant que dans respectivement 12 % et 11 % des cas. Près de 80 % des « renonceurs » sont pourtant couverts par une complémentaire santé. Un sur cinq bénéficie de la couverture maladie universelle complémentaire, qui protège assez bien contre le risque financier des soins. Les gros bataillons de « renonceurs » sont plutôt des gens qui auraient droit à une aide à la complémentaire santé (ACS), mais qui ne s’en servent pas.
Il y a la Sécurité sociale, les filets de sécurité comme l’ACS (réformée en 2015) ou la CMU, les contrats collectifs devenus obligatoires en entreprise, le tiers payant (en cours de généralisation). Mais cela ne suffit visiblement pas. Avec des conséquences lourdes : le renoncement aux soins entraîne des dépenses hospitalières, des arrêts de travail et mine le pacte social. Les candidats à la présidentielle ont d’ailleurs fait de l’accès aux soins leur leitmotiv en matière de santé : Jean-Luc Mélenchon, Emmanuel Macron et François Fillon promettent tous que les lunettes ou les prothèses dentaires coûteront moins cher s’ils sont élus.
Pour l’Assurance-maladie, la prise de conscience remonte à décembre 2012. A la caisse primaire (CPAM) du Gard, l’un des cinqdépartements les plus pauvres de France, on s’étonnait parce que des personnes qui avaient obtenu le secours financier de la caisse pour des soins dentaires… ne l’actionnaient pas. « Nous avons demandé à des chercheurs de l’université de Grenoble de mener des entretiens approfondis avec 24 assurés que nous avions repérés, raconte le directeur de la CPAM, Christian Fatoux. Nous avons constaté que les renoncements étaient souvent multiples, qu’ils étaient liés à un reste pour vivre très faible, que les gens étaient perdus dans les démarches administratives et avaient des difficultés à s’orienter dans le système de soins », poursuit-il.
Expérimentation étendue
Comme le renoncement était loin d’être marginal (30 % dans le Gard), la CPAM a ouvert, en novembre 2014, une plate-forme d’aide aux soins et à la santé. Les agents des caisses, les travailleurs sociaux, les médecins, ont été chargés de repérer les personnes à risque. Chaque « renonceur » a été suivi par un agent de la CPAM, qui a fait le bilan de ses droits et l’a orienté vers des médecins à tarifs opposables, n’hésitant pas à rappeler pour s’assurer que les démarches avaient abouti. En cas de besoin, l’Assurance-maladie a pu puiser dans ses fonds d’aide sociale.
Nommé fin 2014 à la tête de l’Assurance-maladie, Nicolas Revel a décidé d’étendre l’expérimentation. L’enquête menée dans 18 territoires montre toujours des taux de renoncement préoccupants, mais ils auraient sans doute été un peu moins élevés si l’on avait également sondé les assurés qui ne se déplacent pas dans les caisses : de 19,7 % dans le Hainaut jusqu’à 33,8 % dans la Drôme.
Depuis mai 2016, 21 caisses font partie de l’expérimentation. Elles ont ouvert 9.400 dossiers, dont 30 % se sont déjà traduits par un retour aux soins et 20 % ont nécessité une aide financière de la CPAM. Tous les départements seront dotés de leur plate-forme d’accès aux droits d’ici à avril 2018, promet Nicolas Revel, qui salue le « changement culturel dans la vocation des agents de l’Assurance-maladie » : d’une logique du contrôle à une logique de service aux assurés.
Les chiffres clefs 26,5 % DES assurés sociaux
La proportion d’assurés qui a renoncé à se faire soigner en 2016.
75 %
La proportion d’assurés qui a renoncé aux soins pour des raisons financières en 2016.
Fonte: