Il y a tout juste cinq ans, une explosion d’hydrogène détruisait le bâtiment du réacteur numéro 3 de la centrale de Fukushima-Daiichi, ravagée trois jours plus tôt par un tsunami, et une fumée chargée d’éléments radioactifs se dispersait dans la région. Dès le mois de juin 2011, les scientifiques japonais ont enclenché des tests pour repérer une éventuelle contamination de la population par cette radioactivité. Ils se sont notamment concentrés sur la santé des enfants de la préfecture de Fukushima. Et contrairement à ce qu’affirment certaines ONG, qui diffusaient la semaine dernière des chiffres alarmistes basés sur des calculs douteux, les médecins n’ont, pour l’heure, découvert aucune augmentation des cancers liés à la radioactivité chez les enfants de la région.
Deux grandes campagnes de dépistage systématique ont été menées successivement sur 300.476 enfants de la zone, âgés de moins de 18 ans au moment de l’accident. A l’issue d’échographies thyroïdiennes, les chercheurs ont découvert 113 cas de cancer de la thyroïde avérés ou suspectés chez ces enfants. « Cela représente un taux de prévalence de 0,037 % », expliquait, la semaine dernière, à Tokyo, le professeur Koichi Tanigawa, le directeur de la Fukushima Medical University. Se précipitant sur ce résultat, certains experts ont conclu que le taux de cancers de la thyroïde chez les enfants de Fukushima était 30 fois supérieur à la normale. Mais les responsables de l’étude rappellent que ces campagnes de diagnostic systématiques ne peuvent, en aucun cas, être comparées aux moyennes annuelles habituelles. « Avec ces campagnes très poussées, nous avons découvert des cancers qui étaient en fait déjà présents chez les enfants avant même l’accident de Fukushima », insiste le chercheur.
Aucune pathologie chez les moins de 5 ans
Aucun cancer n’a d’ailleurs été repéré chez des petits de moins de cinq ans. Pour confirmer leurs hypothèses, les analystes ont distingué les origines géographiques des enfants de la préfecture afin d’identifier d’éventuelles différences entre ceux présents près de Fukushima-Daiichi dans les premières heures de la catastrophe et ceux vivant à plus de 100 kilomètres du site. Or ils ont découvert près de la centrale une prévalence de seulement 0,033 %, contre 0,038 % chez les enfants les plus éloignés. Elargissant les dépistages systématiques à des préfectures non touchées par les retombées de radioactivité, ils ont mesuré des prévalences équivalentes et même souvent… supérieures à celles de la préfecture de Fukushima. « Les cancers de la thyroïde découverts à Fukushima ne sont jusqu’ici pas liés à la radioactivité », tranche Koichi Tanigawa. « Rapidement déplacés, ces enfants, comme la population de la région en général, n’ont été exposés qu’à de très faibles niveaux de radiation », confirme le professeur Akira Otsuru, qui estime que le nombre élevé de cas découverts est le fruit d’un « surdiagnostic » déjà mis en lumière dans d’autres pays. En Corée du Sud, la mise en place, à la fin des années 1990, du dépistage systématique du cancer de la thyroïde avait entraîné une multiplication par quinze du nombre de cas détectés, sans que la mortalité liée à ce cancer n’augmente. Les scientifiques avaient alors compris que les tests poussés avaient entraîné l’identification d’un plus grand nombre de minuscules tumeurs qui ne représentaient souvent aucune dangerosité.
A Fukushima, les chercheurs admettent néanmoins que cette « angoisse du cancer » bouleverse les familles et contribue à détériorer la santé psychologique des habitants évacués des environs de la centrale. Plus que les autres, ils sont touchés par des problèmes de dépression, d’anxiété et même de diabète. « Les évacuations, qui avaient pour objet de minimiser l’impact de la radioactivité sur la santé, ont finalement produit plusieurs sérieux risques sanitaires », insiste Koichi Tanigawa, qui suggère de revoir l’organisation des secours en cas de catastrophe nucléaire.
Yann Rousseau, Les Echos
Correspondant à Tokyo
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