Il riassicuratore Scor fa causa al suo primo azionista Covéa e al suo ceo per abuso di fiducia. SCOR accusa Thierry Derez di aver abusato del suo ruolo di amministratore del gruppo riassicurativo “in nome proprio” per utilizzare informazioni e un documento “strettamente confidenziale” al fine di accelerare il proprio progetto di acquisizione di SCOR.
Thierry Derez rischia teoricamente una pena detentiva di tre anni e una multa di 375.000 euro. Una nuova svolta giudiziaria in una lotta di potere che aveva già tutti gli ingredienti del thriller economico. Come si è arrivati a questo?

Thibaut Madelinet Laurent Thévenin

Le réassureur SCOR poursuit en justice son premier actionnaire Covéa et son PDG, pour « abus de confiance ». Retour sur le thriller économique qui tient en haleine le Tout-Paris de la finance depuis cinq mois.
Lorsqu’il reçoit en grande pompe à l’Ecole nationale des beaux-arts de Paris, le 21 janvier dernier à l’occasion des voeux, Thierry Derez surprend ses invités. Le PDG de Covéa, réputé pour son humour caustique, s’épanche sur le Brexit ou Donald Trump, mais parle à peine de son groupe d’assurances. Comme à son habitude, il glisse une petite imitation – de Johnny Hallyday cette fois. Mais pas un mot sur ce qui agite le Tout-Paris de la finance depuis cinq mois : ses velléités d’acquisition de SCOR.
Une semaine après, double coup de théâtre. Mardi 29 janvier, en pleine séance boursière, Covéa, qui rassemble les marques MMA, MAAF et GMF, annonce que le rapprochement avec SCOR « ne fait plus partie de ses options stratégiques ». A peine une heure plus tard, réplique du réassureur qui annonce poursuivre en justice Thierry Derez pour « abus de confiance », et Covéa pour « recel d’abus de confiance » ! Le lendemain, le groupe mutualiste, premier actionnaire de SCOR, avec 8,17 % du capital, réunit son conseil. Celui-ci « rejette fermement l’ensemble des accusations infondées proférées par SCOR et réaffirme son soutien unanime à Thierry Derez ». Il annonce qu’il « fera valoir tous ses droits pour la défense de ses intérêts » et déplace le débat sur un autre terrain : ces manoeuvres, « d’une agressivité inédite », « portent une atteinte grave à l’image de la place de Paris ».
Dans sa citation directe déposée devant le tribunal correctionnel de Paris, mise en ligne puis vite retirée de son site Internet, SCOR accuse Thierry Derez d’avoir abusé de son rôle d’administrateur du groupe de réassurance « en son nom propre » pour se servir d’informations et d’un document « strictement confidentiels » afin d’accélérer son propre projet d’acquisition de SCOR.

Thierry Derez risque théoriquement une peine de trois ans d’emprisonnement et une amende de 375.000 euros. Un rebondissement judiciaire inédit dans une lutte de pouvoir qui avait déjà tous les ingrédients du thriller économique. Comment a-t-on pu en arriver là ? Comment deux hommes, qui se présentaient naguère comme des amis, ont-ils pu basculer dans une telle guerre ?

« Projet Abbaye » vs « Projet Parfum »
Géant de l’assurance auto et habitation en France mais nain hors de ses frontières, Covéa cherche un moyen de croître tout en couvrant toute la chaîne des métiers d’assurance. SCOR est à ses yeux la proie idéale : le groupe réalise l’essentiel de ses affaires à l’international et pratique un autre métier, la réassurance, c’est-à-dire l’assurance des assureurs.
Son projet d’acquisition, intitulé « Abbaye » et rendu public le 4 septembre après que la cible l’eut rejeté, vise la création d’un groupe de plus de 30 milliards d’euros de primes. Thierry Derez voulait initialement lancer son offensive en 2019. Covéa est en effet tenu par une clause dite de « standstill » le contraignant à ne pas dépasser le seuil des 10 % dans le capital du réassureur jusqu’en avril de cette année.

Mais, le 25 juillet, il découvre lors d’une réunion du comité stratégique du conseil d’administration de SCOR, l’existence du « Projet Parfum ». Sous ce nom de code se cache le projet d’un éventuel rapprochement avec le réassureur PartnerRe, propriété d’Exor, le holding familial des Agnelli.
Thierry Derez décide alors d’avancer ses plans. « Le calendrier pourrait s’accélérer car ils ont entendu que SCOR pourrait regarder une fusion avec une autre compagnie de réassurance », écrit dans un mail à ses équipes le 31 juillet un banquier de Credit Suisse, banque conseil de Covéa. Le 24 août, Covéa envoie à SCOR une proposition d’achat pour 43 euros par action. Son but ? Court-circuiter la discussion prévue au conseil le 30 août sur le « Projet Parfum ».
Denis Kessler est fou de rage. De son point de vue, son ancien ami l’a trahi. A soixante-six ans, l’ex-vice-président du Medef, qui a longtemps été vu comme le parrain de l’assurance en France, est mis au défi. Il voit son indépendance menacée, la valeur de son groupe sous-estimée, et la fin de sa carrière se profiler après seize ans à la tête du cinquième réassureur mondial.

Deux ovnis dans le monde de l’assurance
Les deux hommes sont chacun à la tête d’un empire dans un secteur où on ne les attendait pas. Denis Kessler, docteur en sciences économiques et en philosophie, a débuté comme professeur d’université. Proche de Dominique Strauss-Kahn, il est entré dans le secteur en 1990 comme président de Fédération française des sociétés d’assurances (FFSA). Appelé à la rescousse de la SCOR en 2002, il redresse la société, alors au bord de la faillite, et la transforme en champion mondial.
De son côté, Thierry Derez entre à la GMF en 1995 après avoir oeuvré comme avocat sur le rapprochement avec Azur. Le spécialiste en droit pénal des affaires – ça ne s’invente pas – va très vite présider la mutuelle des fonctionnaires, puis accompagner la création de Covéa avec son fondateur, Jean-Claude Seys. A soixante et un ans, il préside un groupe de 16 milliards d’euros de chiffre d’affaires.
Si les deux hommes incarnent tous deux leur maison avec un pouvoir très affirmé, c’est dans un style très différent. Denis Kessler, physique massif et caractère soupe au lait, ne recule pas devant la provocation et les joutes verbales. Libéral revendiqué, il assume pleinement son salaire élevé, qui a souvent fait l’objet de critique. Thierry Derez, physique rectiligne d’ancien champion de natation, n’aime rien tant que la discrétion (notamment sur son salaire).

Piqué au vif, Denis Kessler organise une contre-attaque digne d’un film de Hollywood. « Si vous voulez faire de la réassurance, apprenez ce que c’est. Si vous ne savez pas ce que c’est, passez votre chemin », tonne-t-il le 5 septembre. Avec une pointe de condescendance, il souligne le contraste entre le mutualiste hexagonal et son groupe global. Il en faut plus pour déstabiliser Thierry Derez. L’amateur de philosophie antique, qui travaillait depuis avril sur son projet avec Credit Suisse, est désormais aussi accompagné par les banques d’affaires Rothschild et Barclays. Dans le monde feutré de la finance, et dans les arcanes de l’Etat, chacun est médusé par cette bataille spectaculaire.
Très vite, SCOR reproche à Thierry Derez un conflit d’intérêts entre sa fonction d’administrateur du réassureur et celle de patron de Covéa. Sous la pression, celui-ci finit par démissionner du conseil le 13 novembre. Puis c’est le silence radio. Mais le Landerneau de l’assurance part du principe que Covéa a mis sa stratégie en sourdine et attend la fin du « standstill », en avril, pour lancer une nouvelle offre. C’est sans compter l’obstination de Denis Kessler, qui obtient le 20 décembre par un tribunal de Londres que Credit Suisse lui remette des informations que Covéa lui aurait transmises sur SCOR. Avec ces éléments, le réassureur demande la comparution de Thierry Derez le 24 juin prochain au tribunal de grande instance de Paris. Il poursuit aussi Barclays et Rothschild au civil, mais pas Credit Suisse, qui a abandonné son rôle auprès de son rival.
Si Thierry Derez est clairement fragilisé, Denis Kessler doit, lui, répondre à l’attente de ses actionnaires. Suite à l’abandon de Covéa, le cours en Bourse de SCOR est redescendu brutalement au niveau précédant le début des hostilités, sous les 37 euros. Le hedge fund CIAM, qui détient 0,94 % du capital, vient ainsi d’envoyer une nouvelle missive à Denis Kessler pour lui demander, « si possible avec autant de zèle que celui qui a guidé votre communication contentieuse, des mesures concrètes en matière de création de valeur ». Le thriller n’en est peut-être qu’à ses premiers épisodes.

Une affaire qui soulève l’épineuse question de l’information confidentielle
Laurence Boisseau
Un administrateur lié à un actionnaire reçoit au moment des conseils des informations confidentielles. Mais peut-il les lui communiquer sans risque ?
La bataille SCOR-Covéa a attiré l’attention sur certaines pratiques de gouvernance. Le réassureur a saisi la justice contre Thierry Derez, le patron du groupe mutualiste. Il l’accuse d’avoir divulgué à Covéa des informations confidentielles qui avaient été communiquées à tous les administrateurs lors d’un conseil de SCOR. Mais le membre d’un conseil qui est lié à un actionnaire est confronté à une problématique particulière. A-t-il le droit de communiquer ces informations à cet actionnaire ou est-il tenu par son devoir de discrétion ? « Cette question se pose très souvent. L’administrateur se retrouve entre le marteau et l’enclume. Il ne sait pas très bien comment il peut faire son travail. Il se retrouve à devoir faire le tri entre les informations sensibles et confidentielles, et celles qui ne le sont pas. Un arbitrage très complexe, qui fait peser sur lui une lourde responsabilité qu’il ne devrait pas avoir », explique Hubert Segain, associé chez Herbert Smith Freehills.
Quand l’administrateur est lui-même dirigeant de cet actionnaire, cela peut devenir encore plus compliqué. Là, il peut frôler la schizophrénie. « Dans ce cas, l’administrateur peut entendre mais il est censé ne rien dire, ne rien répercuter. La plupart du temps, cela fonctionne très bien », explique un avocat. A condition que les intérêts de la société, de tous les actionnaires et de cet actionnaire en particulier convergent. « Or, il y a toujours un risque qu’à un moment, ce ne soit plus le cas », poursuit le même avocat. Ce qui ajoute de la confusion, c’est que, la plupart du temps, l’administrateur siège en son nom propre, alors qu’il est lié à une personne morale. Or, dans les faits, il représente cet actionnaire. Exemple : chez Pernod Ricard, Ian Gallienne et Gilles Samyn, fidèles lieutenants du défunt Albert Frère, ne sont pas élus comme représentant de Groupe Bruxelles Lambert. Au conseil de Suez, Gérard Mestrallet et Isabelle Kocher qui ont (ou ont eu) des fonctions exécutives chez Engie, qui détient 32 % du capital, siègent en leur nom propre. Idem chez L’Oréal, avec les membres du conseil liés à Nestlé.
Encadrer la communication
Certains actionnaires ont choisi d’avoir un administrateur qui soit, de façon clairement affichée, leur représentant permanent au conseil. Ainsi, chez Bouygues, deux membres de la famille siègent au nom des holdings familiaux. C’est aussi le cas chez PSA. Cette solution donne-t-elle le droit de faire remonter les informations ? Les avis sont partagés. Pour éviter tout problème, des procédures d’encadrement claires pour toute communication entre un actionnaire et son administrateur pourraient être mises en place. « Cela pourrait prendre la forme d’un accord de confidentialité à conclure entre l’administrateur, son actionnaire et la société concernée. Il définirait la nature des informations pouvant être communiquées, et expliquerait ce qui justifie une telle communication et comment elles peuvent être transmises », explique Hubert Segain.
Dans cette veine, la Belgique a consacré la théorie de l’« acceptation tacite ». En clair, l’administrateur peut communiquer des informations à son actionnaire si ce dernier s’engage à ne pas les diffuser ou à en faire usage.

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