ANNE FEITZ
PSA, RENAULT ET VALEO ONT OBTENU DES DÉROGATIONS POUR TESTER LEURS VÉHICULES AUTONOMES SUR LES ROUTES FRANÇAISES. UN ENJEU IMMENSE ALORS QUE LA COURSE À LA TECHNOLOGIE EST LANCÉE.
Ces derniers jours, certains usagers de l’A13 se sont fait doubler par un étrange véhicule : un look futuriste jamais vu, mais, surtout, un conducteur vautré dans son siège, parfois même affublé d’un casque de réalité virtuelle ! Pas de quoi paniquer, toutefois. Il s’agit d’un
test de véhicule autonome effectué par Renault avec sa Symbioz Demo Car
, spécialement conçue pour cela. Pour le constructeur, c’est loin d’être une première. « Nous faisons rouler six Renault Espace sur autoroute ou voie rapide, en France et en Allemagne, depuis le début de 2016 », indique Laurent Taupin, ingénieur en chef du véhicule autonome chez Renault.
Depuis deux ans et demi, les expériences de ce type, sur route dite « ouverte », se multiplient dans l’Hexagone.
PSA, qui a été le premier, mi-2015, à obtenir l’autorisation de faire rouler des C4 Picasso autonomes sur autoroute en France
, compte actuellement 12 véhicules qu’il teste, lui aussi, sur autoroute et voie rapide. « Nous totalisons aujourd’hui plus de 150.000 kilomètres d’essais », indique Vincent Abadie, responsable du véhicule autonome chez PSA.
Valider les technologies
De même, Valeo a démarré ses propres tests il y a dix-huit mois : l’équipementier a non seulement fait rouler ses véhicules autonomes sur autoroute, mais aussi sur départementale et même… dans Paris. « Nous avons roulé place de l’Etoile, plusieurs fois », raconte Guillaume Devauchelle, directeur de l’innovation de Valeo. « Cela nous permet de tester des situations compliquées, dans lesquelles il est impossible de respecter le Code de la route, par exemple, si on ne veut pas rester bloqué. »
Pour ces acteurs de la voiture autonome, il s’agit d’accumuler de l’expérience. « Nous étudions le comportement du véhicule dans le plus de situations possible, et nous complétons par de la simulation, poursuit Guillaume Devauchelle. Objectif, obtenir un taux de défaillance ‘grave’ inférieur à 1 sur 1 milliard de kilomètres. » Valeo cherche ainsi à valider les performances de ses capteurs (caméras, radars, lidars). Chez Renault et PSA, il s’agit de pouvoir commercialiser des fonctions d’autonomie en série dans quelques années. Renault espère ainsi proposer du niveau 4 sur autoroute en 2023. Aujourd’hui, un tel niveau 4, sur une échelle qui en compte 5, permet au conducteur de détacher complètement son attention de la route, le véhicule étant capable de se mettre en sécurité tout seul.
Pour l’instant, la réglementation ne l’autorise pas : la France a ratifié la convention de Vienne, qui impose que le conducteur ait le contrôle total de son véhicule, avec les deux mains sur le volant. Pour effectuer des expérimentations, il est nécessaire d’obtenir des dérogations du ministère des Transports, qui en a pour le moment accordé une quarantaine. Avec toujours un superviseur dans le véhicule, prêt à reprendre le contrôle.
D’autres pays,
comme les Etats-Unis
, le Japon ou l’Allemagne, ont pris de l’avance
dans la course
. Dans certaines villes américaines, comme Pittsburgh, les voitures sans chauffeur sillonnent déjà les rues. « Il y a une véritable lutte pour attirer les investissements en R&D et les meilleurs ingénieurs, souligne Franck Cazenave, spécialiste du sujet chez Bosch France. Tokyo a promis des véhicules autonomes pour les JO de 2020, Paris doit pouvoir être à la pointe pour ceux de 2024 ! »
Conscient de l’enjeu, le Premier ministre, Edouard Philippe, a désigné le véhicule autonome comme une priorité et nommé en novembre dernier Anne-Marie Idrac, ancienne secrétaire d’Etat aux Transports et patronne de la RATP, haute responsable pour la stratégie nationale de développement des véhicules autonomes. Une première feuille de route doit être présentée en mai 2018.
« J’ai conduit sur l’autoroute sans les mains »
A. F.
IL Y A QUELQUES JOURS, NOUS AVONS PARTICIPÉ À UNE DÉMONSTRATION, ORGANISÉE PAR RENAULT, DE LA SYMBIOZ DEMO CAR, SPÉCIALEMENT CONÇUE POUR LA CONDUITE AUTONOME.
Début 2018, l’expérience n’est plus si exceptionnelle. Elle n’en est pas moins impressionnante : j’ai roulé dans une voiture, à la place du chauffeur, sans les mains et même… sans les yeux. Et ce, à 130 kilomètres à l’heure, sur l’autoroute A13 !
La démonstration était organisée par Renault,
dans son concept-car Symbioz
Demo Car, spécialement conçu pour la conduite autonome : il s’agit de tester une autonomie de niveau 4, dite « mind off », celle qui permet au conducteur de vaquer à ses occupations, sans s’occuper de la route, sur une partie de son trajet. « Dans le niveau 3, le conducteur reste responsable de la conduite et doit pouvoir intervenir en dix secondes », explique Anthony Trouble, responsable du projet conduite autonome chez Renault. « Dans le niveau 4, la voiture peut se mettre en sécurité toute seule, en allant se garer sur la bande d’arrêt d’urgence, si le conducteur ne reprend pas la main. Nous visons les voyages au long cours, pour que les clients puissent vraiment s’occuper autrement pour passer le temps ! » Plus de mains sur le volant, ni de pied sur les pédales.
Une petite sensation de flottement
En route ! A première vue, la Symbioz ressemble à une berline au look futuriste, à ceci près que ce sont des caméras qui tiennent lieu de rétroviseurs – via de petits écrans, de chaque côté de l’habitacle et au milieu du pare-brise. Le démarrage se fait en mode manuel. La Symbioz est un véhicule électrique, agréable à conduire. Cinq minutes plus tard, nous voilà sur l’autoroute. La circulation est assez dense.
L’aventure commence : en appuyant quelques secondes simultanément sur deux boutons situés sur le volant, je passe en mode autonome. Une petite sensation de flottement, et hop ! la voiture prend le contrôle. Je peux lâcher les mains. Et, même, passer en mode « relax » : mon siège recule légèrement et bascule en position légèrement allongée. Je suis invitée à consulter mon smartphone, à me retourner pour parler aux passagers arrière…
Pendant ce temps, la voiture accélère, 110, 120, 130 km/h. Elle double des camions, mettant seule son clignotant, se déportant sur la gauche. Le volant bouge tout seul, cherchant à replacer la voiture au centre de la voie par de petits mouvements saccadés. Je dois prendre garde à ne pas toucher le volant ou les pédales par inadvertance : la voiture repasserait alors automatiquement en mode manuel.
Reprise de contrôle
Le péage approche. Sur le pare-brise, un affichage en surimpression, dit « vision tête haute », montre en jaune la voie que s’apprête à prendre le véhicule, à gauche. Nous ralentissons, la voiture se déporte sur la file de gauche, ralentit encore, et passe le péage sans s’arrêter, à 20 km/h. Puis réaccélère. Une camionnette nous double soudain par la droite. Le copilote – car il y a un copilote – reprend aussitôt le contrôle de la voiture. « Nous aurions pu rester en mode autonome, dit-il. La Symbioz a ralenti, et aurait laissé passer la camionnette. Mais nous préférons ne pas tenter la chance ! » Sur le siège passager, il est intervenu via une console de pilotage dotée d’un joystick – condition sine qua non pour que ces tests soient autorisés sur route « ouverte ».
Le tronçon de 32 kilomètres (aller-retour) sur lequel se déroulent ces essais a été équipé par la Sanef, partenaire du projet, d’émetteurs wi-fi 5G qui communiquent au véhicule toutes les informations utiles sur la circulation, les voies de péage libres, les accidents éventuels, les travaux, etc. Il a aussi été cartographié précisément, en haute définition, de telle sorte que le véhicule poursuive sa route si l’un de ses 36 capteurs (caméras, radars, lidars…) ne fonctionnait pas.
La Symbioz Demo Car a encore beaucoup de choses à apprendre, mais
Renault espère bien pouvoir commercialiser des voitures autonomes de niveau 4 en 2023
, date à laquelle « le coût des équipements sera devenu abordable, et la réglementation aura été adaptée », indique Mathieu Lips, directeur du projet Symbioz Demo Car. C’est demain.
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