LES CANDIDATS À LA PRÉSIDENTIELLE PROPOSENT DE REVOIR LEUR RÔLE DANS LE REMBOURSEMENT DES SOINS. SI FILLON ET MACRON LEUR SONT PLUTÔT FAVORABLES, LES AUTRES POSTULANTS VEULENT RÉDUIRE LEUR PLACE.
Avec son projet controversé de revoir le financement des risques en santé, en transférant des responsabilités massives au secteur privé, François Fillon a éveillé l’intérêt des assureurs complémentaires. Le candidat de la droite à l’élection à la présidentielle revoit actuellement ce volet de son programme et son équipe devait consulter ce mercredi le président de la Mutualité française, Thierry Beaudet. Pour l’instant, l’ancien Premier ministre apparaît comme l’un des candidats les plus favorables au monde mutualiste, malgré sa volonté de créer une agence de régulation des organismes complémentaires.
On ne peut pas en dire autant de la plupart des postulants de gauche, qui affichent leur méfiance vis-à-vis des financeurs privés du système de santé. Beaucoup font le procès des complémentaires, dont les frais de gestion ont été montrés du doigt par Martin Hirsch et Didier Tabuteau dans une tribune publiée ce week-end dans « Le Monde ». Le directeur général des Hôpitaux de Paris et l’économiste proposent de remplacer les complémentaires par la Sécurité sociale, quitte à ce que cette dernière reprenne une partie de leurs effectifs. Jean-Luc Mélenchon, veut aller encore plus loin, en transférant à l’assurance-maladie la totalité des remboursements plus l’actuel reste à charge des assurés – soit 42 milliards à trouver au total.
Candidat à la primaire organisée par le PS, Arnaud Montebourg préfère créer une mutuelle publique à 10 euros par mois, qui permettrait à tous les assurés modestes n’ayant pas droit à la couverture maladie universelle, mais touchant moins que le SMIC, d’être couverts pour sept ou huit fois moins cher. Son adversaire, Vincent Peillon, est sur la même longueur d’onde, sans fixer de tarif. Sa complémentaire serait financée par une hausse de la CSG plutôt que par les cotisations.
L’ancien Premier ministre Manuel Valls a lui aussi un projet de réduction du rôle des financeurs privés, puisqu’il prévoit, pour certains soins de ville, de supprimer le ticket modérateur (la part de remboursement laissée à la charge des mutuelles) tout en laissant la Sécurité sociale endosser 100 % de la dépense.
Hamon ferait le ménage
Benoît Hamon, qui a été ministre de l’Economie sociale et solidaire dans les gouvernements Ayrault, est plus proche des mutualistes. Il veut faire le ménage dans le maquis des aides publiques à l’acquisition d’une couverture complémentaire, afin que salariés, fonctionnaires, retraités, étudiants et chômeurs en bénéficient tous autant. Cela parle aux mutualistes, qui regrettent la segmentation des dispositifs publics.
Quant à Emmanuel Macron, qui s’est singularisé en annonçant le remboursement à 100 % des prothèses dentaires ou auditives et des lunettes, il n’entend pas mener cette réforme à 4,4 milliards d’euros avec la seule assurance-maladie. Les complémentaires et les professionnels de santé seraient invités à faire eux aussi un effort pour absorber cette dépense supplémentaire. C’est donc également un candidat « assureur-compatible ».
Thierry Beaudet : « Les mutualistes n’ont pas à faire de mea culpa »
SOLVEIG GODELUCKETIENNE LEFEBVRE
François Fillon a fait du financement de la santé un thème clef de la campagne présidentielle, un peu malgré lui, cela vous réjouit-il ?
En disant que l’assurance-maladie obligatoire doit se concentrer sur le risque grave et les affections de longue durée, il a posé une vraie question. Car sans débat et via une succession de mesures d’apparence technique, on assiste à des évolutions très importantes dans la prise en charge. Un euro sur deux des soins parmi les plus fréquents n’est déjà plus remboursé en ville. En optique, la Sécurité sociale ne paie plus que 4 % des frais. L’assurance-maladie obligatoire se recentre de fait sur l’hospitalisation et les affections de longue durée. La proposition de François Fillon a le mérite de nous inviter à réfléchir à un plan d’ensemble.
Le patron de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, Martin Hirsch, et l’économiste Didier Tabuteau ont une solution : remplacer les complémentaires santé par l’assurance-maladie…
L’assurance-maladie obligatoire doit demeurer le pilier de notre système de santé. Mais faire reposer sur elle 100 % des remboursements est infaisable et insoutenable. Plus de 42 milliards d’euros de dépenses sont financés par les complémentaires ou par les ménages en direct et devraient être transférés à l’assurance-maladie obligatoire. Or, comme le dit la Cour des comptes, elle reste l’homme malade de la Sécurité sociale, avec encore 4 milliards de déficit en 2016 et 120 milliards de dette sociale accumulée. La vraie entorse à la solidarité nationale, ce n’est pas l’existence des complémentaires, c’est cette dette qu’on reporte sur les générations futures ! Et puis, en proposant cela, on s’enferme dans la seule problématique du remboursement et on ne répond pas aux vraies questions. Comment mieux organiser le système de santé pour faire face, comme aujourd’hui, à une épidémie de grippe ? Comment modérer la dépense en remboursant les bons soins au juste prix ? La demande de santé n’a jamais été aussi forte et le progrès technologique, les médicaments onéreux, le vieillissement, vont continuer d’entraîner des dépenses nouvelles. Cette tribune [de Martin Hirsch et Didier Tabuteau, NDLR] propose d’effacer d’un trait de plume tout un secteur d’activité ancré dans la réalité sociale de notre pays. Cette vision simpliste suscite la colère des mutualistes.
Supprimer les mutuelles permettrait d’économiser des frais de gestion et de réinvestir dans le soin…
Toutes complémentaires confondues, nous dépensons 6,8 milliards d’euros en frais de gestion. Mais nos organisations sont bien gérées et à l’équilibre. Nous avons investi pour proposer le tiers payant généralisé aux patients. Nous avons mis en place des plates-formes techniques pour étudier les devis qui permettent à l’arrivée de faire baisser de 30 % les factures d’optique. Nous menons des actions de prévention. Ce sont des frais utiles. Nous devons être attentifs à les limiter, mais les Français ne s’y trompent pas, ils voient que c’est la dette qui coûte le plus cher. Et puis, ne croyez pas qu’on pourrait réinvestir 6,8 milliards dans le soin. Supprimer les complémentaires santé signifierait la disparition de 5,3 milliards d’euros de recettes fiscales. On aurait au final une triple casse : casse sociale, avec 85.000 salariés dehors pour les seules mutuelles, dont 15.000 professionnels du soin ; fragilisation de l’assurance-maladie obligatoire, déjà déficitaire, et enfin réduction de l’offre de soins à tarifs accessibles. Nous avons 2.600 services de soin et d’accompagnement (cliniques, maisons de santé, Ehpad…) sur le territoire. Et ne nous leurrons pas, si nous n’avons plus d’activité d’assureur, nous ne serons plus en capacité de demeurer des acteurs du sanitaire et du médico-social.
Plusieurs candidats à la présidentielle critiquent aussi la place prise par les complémentaires santé. N’avez-vous pas commis des erreurs ?
Il est paradoxal que les politiques semblent découvrir notre existence et nous la reprochent. Nous occupons l’espace que droite et gauche confondues nous ont donné ces trente dernières années au fil des déremboursements et de la liberté tarifaire laissée aux professionnels, faute de moyens pour augmenter les tarifs de la Sécurité sociale. Résultat, les dépassements d’honoraires atteignent 2,8 milliards d’euros chez les médecins. Et ce sont 4,8 milliards chez les dentistes, 1 milliard chez les audioprothésistes, 5,9 milliards en optique qui excèdent les tarifs de la Sécurité sociale ! Les mutualistes n’ont pas à faire de mea culpa.
Avez-vous des propositions à faire pour mieux organiser les soins et modérer les dépenses ?
Les solutions sont connues depuis longtemps. Par exemple, pour la grippe, on pointe le dysfonctionnement des urgences, alors qu’une partie du problème vient de l’organisation de la médecine de ville, parce que vous ne pouvez accéder à un médecin après 21 heures. On sait aussi que nous souffrons d’un déficit de vaccination et que les pharmaciens, acteurs de la permanence des soins, pourraient participer à la vaccination. Cela fait quinze ans qu’on le dit et on n’y est pas encore ! Le cadre actuel n’a pas permis de mettre en oeuvre les solutions. Je plaide pour en changer. Au lieu d’un Etat omniprésent, ayons un Etat stratège, qui fasse confiance aux acteurs, dans un cadre de régulation.
C’est-à-dire ?
Ne restons pas dans un face-à-face entre l’assurance-maladie obligatoire et les professions de santé, qui mènent des négociations conventionnelles cloisonnées, profession de santé par profession de santé, sans vision d’ensemble. Donnons de la visibilité et des prérogatives aux complémentaires, qui restent aujourd’hui des payeurs aveugles, même lorsqu’ils sont le premier financeur, comme en optique, dentaire ou audioprothèse. S’il faut pour cela que nous débattions, je dis : “Banco, regardons ensemble ce qui est faisable”, y compris la possibilité pour les complémentaires de rembourser la part encore prise en charge par l’assurance-maladie obligatoire sur ces soins. Nous plaidons pour jouer un rôle encore plus important demain, en complémentarité avec la Sécurité sociale, les professions de santé, les élus locaux.
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