« L’Europe a oublié que l’histoire peut être tragique. » Pour sa première venue au Forum économique mondial de Davos, Manuel Valls a choisi de dramatiser. « L’Europe peut sortir de l’Histoire, se disloquer, si nous ne sommes pas capables de relever le défi de la sécurité », affirme le Premier ministre français, un peu figé. Ces dernières années, les sessions de Davos consacrées au futur de l’Europe tournaient autour d’une croissance trop lente, d’un chômage trop élevé, d’une union monétaire trop bancale. Mais depuis, une vague de réfugiés est venue sur l’Europe, d’une ampleur sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale. Et le terrorisme a frappé en France comme jamais. « Le terrorisme doit nous unir davantage », dit Valls. « Au printemps, les migrations de masse vers l’Europe vont recommencer, prédit sans grands risques Mark Rutte, le Premier ministre néerlandais. Préserver l’accord de Schengen est crucial. » Et plutôt que de songer à « tuer Schengen, il faut faire marcher Dublin », en référence à la convention européenne qui régit la gestion des demandes d’asile.
« Agir ensemble »
« Ce qui se passe avec les réfugiés est une honte pour l’Europe », renchérit Aléxis Tsípras, le Premier ministre grec qui n’a toujours pas de cravate. « Devons-nous chacun trouver une solution individuelle, ou admettre que c’est une crise paneuropéenne ? La Grèce est au centre du problème. L’Allemagne aussi. Nous devons agir ensemble. »
Allemagne et Grèce dans le même bateau ! Wolfgang Schäuble, le ministre allemand des Finances qui s’est durement affronté avec Athènes, est au fond d’accord. « Comme l’a dit Tsípras, ce serait une honte de faire de l’Europe une forteresse. »
Schäuble invoque la solidarité. Entre les pays européens. Et avec les régions d’origine des migrants. « Nous devons y injecter des milliards. » Evidemment, si le ministre allemand accepte l’idée d’un plan Marshall, en Europe et dans les pays d’émigration, il insiste aussi sur la nécessité de respecter les règles. Revenir sur ce qui a été convenu sur le problème de finances publiques, en remettant en cause par exemple la présence du FMI dans le dispositif ? Aller proposer un tel virage au Bundestag, « c’est comme rentrer avec une bougie dans une chambre remplie de dynamite ». Tsípras lui réplique : « Nous avons besoin de lumière. Le meilleur moyen serait de se débarrasser de la dynamite. »
Le plus frappant dans les échanges, c’est que le mot « solidarité », qui était sulfureux au pic de la crise grecque, revient sans cesse quand il est question des réfugiés. Comme si la vague de migration avait fait sauter un verrou. Sauf… du côté britannique. Le Premier ministre britannique, qui intervenait, seul, un peu plus tard, a bien insisté sur le fait que « nous ne ferons jamais partie d’une Union toujours plus étroite ». Très à l’aise, marchant sur scène en prononçant son discours, David Cameron lâche le mot « solidarité » une seule fois, à propos des migrants, comme par inadvertance. Le Royaume-Uni n’est décidément pas un Etat européen comme les autres.