de Jérôme Cazes
Au 1er janvier et dans l’indifférence générale, une grande réforme financière s’est mise en place : Solvabilité II. Elle oblige les assureurs européens à calculer leurs risques selon des principes communs pour en déduire le montant de capital censé couvrir une catastrophe.
Cette réforme est une catastrophe industrielle : elle a pris 13 ans, coûté (indirectement) aux assurés des centaines de millions d’euros, pour… copier la réglementation bancaire, dite Bâle II !
Solvabilité II repose sur le même principe vicieux que Bâle II : imposer aux assureurs de calculer leurs risques sur des modèles statistiques complexes (donc manipulables), faux (car sous-estimant les risques catastrophiques), et à courte vue : les données imposées ne pouvant pas être retrouvées dans le passé, les nouveaux modèles ne raisonnent que sur les dernière années .
Les conséquences attendues de Solvabilité II illustrent ses dangers.
Le secteur de l’assurance va encore se concentrer : les petits assureurs n’arriveront pas à s’adapter à une réglementation aussi complexe. La même course à la taille que dans la banque produira des assureurs plus gros, donc plus dangereux en cas de crise, quand la réforme à l’origine était supposée encourager la concurrence.
Les assureurs sont encouragés par la nouvelle réglementation à prendre un peu de tous les risques plutôt qu’à se spécialiser : « l’assureur universel » comme il y a la banque universelle. Le refus de la spécialisation est pourtant une idée dangereuse en matière de gestion fine des risques.
Le matelas de sécurité de l’assurance européenne va se réduire car les assureurs vont pouvoir « optimiser » leurs modèles. A partir du moment où Bâle II s’est mis en place, les banques ont commencé à avoir besoin de moins en moins de capital, pour le même volume d’activité.
Le plus grave est la déresponsabilisation des dirigeants que favorise la nouvelle réglementation. Aujourd’hui, un patron d’assurance doit connaître le détail de ses risques et il est responsable de ses scénarios catastrophe. Après dix ans de Bâle II, un patron d’une grande banque universelle n’a plus cette responsabilité : il s’intéresse à la seule mesure réglementaire de ses risques et à leur coût réglementaire en capital. Quand la catastrophe arrive, plus grave que ce que prévoyait le fameux modèle, personne ne peut le lui reprocher, puisque le modèle est imposé par la réglementation.
Il faudra écrire l’histoire de cette lente faillite collective, mais plusieurs éléments ont joué : le prestige de la banque a pesé (avant la crise…), les grands du conseil (qui ont touché une grande part du coût de la réforme) ont su bâtir les bons argumentaires, les régulateurs sont tombés amoureux de ce jardin à la française, de nouveaux spécialistes se sont emparés de l’outil dans les compagnies, et tout a basculé quand les grands assureurs ont compris ce qu’ils pouvaient en tirer, en autonomie et en force de frappe contre les concurrents plus petits…
Jérôme Cazes
Jérôme Cazes est fondateur de MyCercle